Pour l’instant, enseignant-chercheur vacataire & juge assesseur (CE) à la Cour nationale du droit d’asile.
Thèmes de recherche(s) :
Droit international, droit(s) administratif(s), théorie des sources du droit.
Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?
Je participe à la relecture des ouvrages des Editions L’Epitoge depuis 2018 et ai eu l’occasion, le plaisir et le privilège d’en relire plusieurs, notamment l’excellent Droit(s) du bio (dir. H. Hoepffner, M. Touzeil-Divina).
CHAUMETTE (A.-L.) & MAUREL (R.), Les contre annales du droit public. 66 erreurs que vous ne commettrez plus jamais, Paris, Enrick B. Editions, 2019, 443 p.
Quelle sera votre future publication ?
En 2020, il y aura : « Les régimes d’inspection à travers le temps : regards sur l’évolution d’un mécanisme de garantie en droit international », in CHAUMETTE Anne-Laure, TAMS Christian (dir.), L’inspection internationale / International Inspection, Académie de droit international de La Haye, Centre for Studies and Research in International Law and International Relations Series, vol. 19, Leiden / Boston, Brill / Nijhoff.
« Le Système Antarctique, un laboratoire des régimes d’inspection internationale », in CHAN-TUNG Ludovic, CHOQUET Anne, LAVOREL Sabine, MICHELOT Agnès (dir.), Les apports du Traité de l’Antarctique au droit international, Paris, Pedone, 2020.
« La contribution de l’ordonnance Gambie c. Myanmar à l’élaboration d’un droit des mesures conservatoires », Revue du Centre Michel de l’Hospital, n°20, 2020.
Plusieurs notices : « inspection », « féminisme », « condoléances », « limogeage », « escalade » et « transparence », in NDIOR Valère (dir.), avec la collaboration éditoriale de MAUREL Raphaël et WEIL Élodie, Dictionnaire de l’actualité internationale, Paris, Pedone, 2020.
« Les Avengers et les compétences de l’État en droit international », in BASIRE Yann, CIAUDO Alexandre (dir.), Du Punisher au Lawyer : les super-héros au prisme du droit, Strasbourg, Presses universitaires de Bourgogne, 2020.
…et sans doute d’autres choses !
Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?
Les contre-annales du droit public ! Un travail très efficace mené sur un an, avec une équipe d’auteurs au top, pour un résultat que nous espérons utile à tous !
Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?
Bonne question…malgré mon profil essentiellement internationaliste, je pense que c’est Léon Duguit !
Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?
J’aime beaucoup, dans des styles très différents (et par ordre alphabétique), Tolkien, Voltaire, Zelazny et Zola. Mais mon auteur préféré reste Orwell.
Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?
Les transformations du droit public.
Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?
Voici la 34e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un.e de nos auteur.e.s d’exception : Mme Stéphanie Douteaud.
Profession :
Maître de conférences en droit public.
Thèmes de recherche(s) :
Le contentieux des contrats publics et le contentieux administratif. Je m’intéresse également au contentieux de l’environnement, au droit public économique et au droit des libertés fondamentales.
Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?
A vrai dire, je suis davantage une collaboratrice (occasionnelle? permanente?) du CLUD. Le professeur Mathieu Touzeil-Divina m’a fait confiance durant plusieurs années pour organiser et animer, à ses côtés, le marathon du droit (nouvelle mouture des 24 heures du droit). C’est au cours de l’année universitaire 2017/2018 que j’ai collaboré pour la première fois aux Éditions l’Epitoge (à l’occasion du colloque « Droit(s) du Bio »).
Un commentaire de décision publié à l’AJDA (« Regard dubitatif sur l’introduction d’un critère intentionnel dans la caractérisation du vice d’une particulière gravité », commentaire sous C.E., 21 oct. 2019, Cne de Chaumont., A.J.D.A., 2020, p. 684).
Quelle sera votre future publication ?
Un commentaire de la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 31 janvier 2020 (décision n°2019-823 QPC « Union des industries de la production des plantes »). Cette affaire est connue pour avoir donné lieu à la reconnaissance d’un OVC de protection de l’environnement. Je vous propose de partager quelques observations à ce propos dans le prochain numéro de la RFDC !
Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?
Sans aucune hésitation ma thèse de doctorat. Loin de moi l’idée de la placer sur un piédestal. Je lui trouve néanmoins quelques qualités et, surtout, elle me rappelle combien le parcours fut tout à la fois aride et délectable. « La stabilisation des contrats par le juge administratif de la validité » rejoindra prochainement la collection bleue de la « Bibliothèque de droit public » des éditions LGDJ. Et j’en suis très heureuse.
Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?
Incontestablement le professeur Philippe Yolka. On est jamais déçu de le lire, toujours réjoui au moment où l’on s’empare de son papier. La signature de Philippe Yolka nous fait une promesse : celle de nous impressionner (par la puissance rhétorique de l’argumentation), celle de nous amuser (par le recours aux formules ironiques) et même celle de nous charmer (par les références artistiques distillées ça et là).
Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?
Très sincèrement, je n’en sais rien. Je ne crois pas en avoir. Je ne saurais le dire.
Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?
La première édition du « Que sais-je? » de Droit administratif de P. Weil.
Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?
Difficile d’y répondre ! Si je me fie à un critère objectif (le livre que je relis le plus régulièrement) je dirais qu’il s’agit de « l’Écume des jours », de Boris Vian. Mais la lecture de « La vie matérielle » de Marguerite Duras m’a laissé quelque chose, allez savoir quoi, en tous cas, j’y repense souvent.
En voici les détails techniques ainsi qu’une présentation :
Volume XXVII : Lectures juridiques de fictions. De la Littérature à la Pop-culture !
Ouvrage collectif sous la direction de Mathieu Touzeil-Divina & Stéphanie Douteaud
– Nombre de pages : 190
– Sortie : mars 2020
– Prix : 29 €
– ISBN / EAN : 979-10-92684-38-4 / 9791092684384
– ISSN : 2259-8812
Mots-Clefs : Droit & Littérature – webséries – Casa de Papel – Servante écarlate – Aya Nakamura – Fictions – pop-culture – féminisme
Présentation :
De la littérature à la pop-culture, voici un recueil de lectures juridiques de fictions.
S’il est évident que toute fiction ne « parle »
a priori pas de « droit », certains supports fictionnels (ce
qui est le cas de nombreux romans identifiés notamment par le mouvement
américain puis international Law & Literature) se prêtent, à
l’instar de prétextes pédagogiques, à l’étude du ou des droits.
C’est à cet exercice, au moyen de quatre supports distincts (un roman, une pièce de théâtre, deux webséries et un corpus de chansons) que se sont prêtés – de la littérature classique à la pop-culture la plus contemporaine – les auteurs du présent livre : Jean-Benoist Belda, Raphaël Costa, Stéphanie Douteaud, Julia Even, Marine Fassi de Magalhaes, Julie Goineau, Mélanie Jaoul, Marie Koehl, Dimitri Löhrer, Agnès Louis, Julien Marguin, Yohan Mata, Catherine Minet-Letalle, Marie-Evelyne Monteiro, Isabelle Poirot-Mazères, Sophie Prosper, Hugo Ricci, Catherine Roche, Florent Tagnères, Mathieu Touzeil-Divina, Julie Vincent & Stéphanie Willman-Bordat. Introduit par une préface relative à la pop-culture, au féminisme et au Droit, l’ouvrage est construit autour de trois parties. La première interroge les représentations (chez Duras et Ionesco) de l’administration dans deux ouvrages de la littérature française. Par suite, l’opus fait place aux contributions qui avaient été prononcées (le 15 mars 2019 sous la direction de Frédéric Davansant, Stéphanie Douteaud & Mathieu Touzeil-Divina) lors du colloque du deuxième Marathon du Droit consacré aux lectures juridiques de deux webséries : la Servante écarlate et la Casa de Papel. Enfin, le livre se referme avec une postface à deux voix consacrée à l’analyse hypothétique du Droit à travers les chansons (et donc ici encore les fictions) d’Aya Nakamura.
Le présent ouvrage, dédié à Bibie et à ses ami.e.s, a été coordonnée et publié par et avec le soutien du Collectif L’Unité du Droit.
Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pourrez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).
L’extrait choisi est celui de l’article – ô combien d’actualité – de l’un des trois coordinateurs de l’ouvrage (M. Touzeil-Divina, A. Lami & M. Eude) dont il est issu : le volume consacré à l’Arbre, à l’Homme et au Droit. Il a été rédigé par M. Arnaud Lami et s’intitule : « santé des arbres & santé des hommes ».
ouvrage célébrant le 65e anniversaire de la parution de L’Homme qui plantait des arbres de Jean Giono & réalisé en hommage au professeur Jean-Claude Touzeil.
Nombre de pages : 374 Sortie : avril 2019 Prix : 39 €
-ISBN / EAN : 979-10-92684-34-6 / 9791092684346
-ISSN : 2268-9893
Santé des arbres & santé des Hommes
Arnaud Lami Maître de conférences de droit public à l’Université d’Aix-Marseille, Hdr, Directeur du Centre de Droit de la Santé (Umr Ades), Laboratoire Méditerranéen de Droit Public & Collectif L’unité du Droit
« L’arbre est deux fois plus utile que les fruits ». Ciceron
Chacun d’entre nous a, à un moment de sa vie, eu un
lien particulier avec un arbre. L’arbre que nous admirons par la fenêtre et qui
nous permet de nous évader de notre quotidien, celui sur lequel nous grimpons
pour ramasser ses fruits, et bien évidemment celui qui a supporté avec tant d’abnégation
et de patience nos cabanes d’enfants. Arbre de la nostalgie, arbre d’évasion,
arbre de vie, autant de qualificatifs qui attestent, pour ceux qui en
douteraient encore, que les arbres jalonnent notre quotidien et contribuent, à
leur manière, à l’évolution de notre condition. Dans toute sa plénitude, l’arbre
a, à n’en pas douter, une fonction particulière qui touche autant au domaine
philosophique, sentimental, qu’économique, social ou culturel[1].
Mais comme souvent, dès qu’il s’agit de la nature, l’Homme
a tendance à oublier et fait preuve d’ingratitude coupable, donnant ainsi tout
son sens à cette célèbre phrase d’Eschyle,
selon laquelle : « il est dans
la nature de l’Homme de piétiner tout ce qui est à terre ». La
fatalité de la vie, le sentiment que l’arbre appartient au lointain passé de l’enfance
favorise, quelquefois, sa relégation à un second plan. Les justifications pour
couper nos arbres, les ignorer, les laisser pour compte, sans autre
justification que la nécessité de satisfaire nos besoins bassement matériels,
ne manquent pas (d’avoir une piscine, d’agrandir nos maisons ou de
construire des immeubles…). Le paradoxe est ainsi posé, alors qu’il nous permet
de nous construire, qu’il nous a élevé et nous élève encore, qu’il est souvent
au centre de nos songes, l’arbre nous laisse d’ordinaire indifférent. Il est de
fait un accessoire de nos vies, accessoire que l’on utilise à souhait et que l’on
sacrifie à loisir sur l’autel de nos besoins. Après tout, le juriste doit-il s’étonner de cette
situation ? L’arbre n’est qu’une « chose » et comme toute chose
dont la valeur est, a priori,
relative il n’est pas au centre des préoccupations de notre quotidien et ne
suscite, en conséquence, que peu de considérations. Pourtant, derrière
cette fatalité, volontairement provocatrice, l’arbre est, comme l’indique la
célèbre formule populaire, une source de vie. Les contes, les histoires, et les
mythologies, rapprochant l’arbre et la vie des Hommes sont légions. De la
Bible, au Coran, en passant par les légendes celtes, l’arbre n’a cessé d’être
spirituellement attaché à la vie des Hommes et, partant, à leur santé. En
dépassant ces considérations littéraires, on peut constater que le lien entre l’arbre
et la santé est bien réel, même si son identification n’est pas toujours
évidente. On retiendra à titre d’exemple que la consommation des fruits – forcément
issus des arbres – est recommandée par les pouvoirs publics afin de lutter
contre les maladies chroniques. Le principe étant identifié à travers le, bien
connu, slogan publicitaire « manger
5 fruits et légumes par jour ».
D’un autre côté, les arbres se voient eux aussi
protégés par les Hommes. Les politiques publiques de défense des arbres à
travers leur entretien, leur plantation, leur protection, contribuent
indubitablement à assurer ce que nous appellerons désormais leur santé.
Le
terme de santé, bien identifiable pour l’espèce humaine, peut être jugé
surabondant pour les arbres, cela étant d’autant plus vrai lorsque l’on s’attache
à leur qualification juridique, ou à l’absence de consécration normative du
concept de « santé des arbres ». Il nous faudra considérer la santé
des arbres avec une dose d’angélisme, un soupçon d’imagination, mais
nécessairement avec clairvoyance.
Afin
d’éviter tout méprise, nous partons du postulat que la santé, prise dans son
acception la plus large (« sous
son angle systémique ») correspond à une approche globale dans
laquelle, les facteurs environnementaux jouent un rôle majeur. Il convient de
garder à l’esprit que les espèces sont interdépendantes les unes des autres et
que toute altération d’un des composants de l’écosystème peut, à un degré ou un
autre, se répercuter en cascade sur d’autres composantes de celui-ci.
Malgré quelques relations plus ou moins identifiées, il
convient de noter que, le lien entre la santé des Hommes et celle de l’arbre
est sociologiquement, médicalement, économiquement, et juridiquement aléatoire
et difficile à cerner. En s’en tenant au plan juridique, un rapide regard sur
le droit positif français suffit à se convaincre de cet état de fait : les
Codes ou la jurisprudence ne font pas grand cas de la relation entre la santé
de l’Homme et les arbres. Mais cela ne signifie pas que le juriste ne considère
pas ce lien ou qu’il l’ignore, mais seulement qu’il ne le consacre pas de façon
directe. La relation entre la santé et l’environnement, abondamment consacrée
par les textes internationaux ou internes, pourrait être considérée comme un
moyen, détourné, d’affirmer le lien plus ténu entre la santé de l’Homme et l’arbre.
Il est d’ailleurs fréquent que les juridictions dans leurs décisions évoquent
en même temps la protection de la santé et celle des arbres[2].
Paradoxalement, le droit parait mieux appréhender la
protection par les hommes de la santé des arbres. Pour s’en convaincre, il
suffit de consulter le seul Code Forestier dont de nombreuses dispositions
visent à protéger les arbres. Ces mesures peuvent aller jusqu’à des sanctions
pénales pour ceux qui porteraient atteinte à son intégrité[3].
Ainsi posé, la relation entre santé des hommes et des
arbres est, pour le juriste, déroutante. La dialectique qu’impliquent la
protection de la santé et celle de l’environnement est, en ce domaine,
imparfaitement appréhendée. Dans ce mouvement de réciprocité, la santé des
arbres à travers l’action des Hommes (I) est autant primordiale que l’action
des arbres sur la santé des Hommes (II).
I. L’Homme et la santé des arbres
L’arbre
en raison de ses caractéristiques est un élément important de la santé des
Hommes. De nombreuses études scientifiques ont démontré que les arbres
contribuent, entre autres, à lutter contre les maladies, à soigner, à améliorer
la santé mentale, à protéger la biodiversité et, bien évidemment, à lutter
contre le réchauffement climatique. Les arbres offrent des bienfaits importants
et nombreux. Conscients des enjeux liés à la protection des arbres, les Hommes
ont instauré une panoplie des règles visant à les protéger (A). Cependant,
les mesures actuelles ne s’avèrent pas toujours suffisantes (B).
A. Le droit protecteur de la santé des arbres
i. La diversité des références juridiques
Historiquement, la France
est un état particulièrement sensibilisé à la conservation
des arbres et des massifs forestiers. L’Ordonnance
royale de Brunoy du 29 mai 1346, invite déjà – dans son article 4 – les
exploitants à agir « en regard de ce que lesdites
forezs se puissent perpétuellement soustenir en bon estat ». Le
bon état, pour ne pas dire la bonne santé de nos massifs, est alors un enjeu
public qui sera relayé, au fil des siècles, par une règlementation qui
deviendra de plus en plus dense.
Sans qu’il soit utile de faire
la généalogie de cette réglementation, déjà excellemment exposée dans les
articles de cet ouvrage, il convient néanmoins de constater que celle-ci s’est
en partie orientée autour de considérations économiques[4].
La forêt bien précieux est aussi un objet de commerce attirant de nombreuses
convoitises et imposant que les autorités publiques en règlementent l’usage
commercial. La France s’est dotée, de longue date, d’une abondante
règlementation en la matière[5].
Dans un tel contexte, il n’est
dès lors pas étonnant que les normes visant à la protection des arbres soient,
en l’état actuel du droit, fort nombreuses.
Au titre des symboles particulièrement
parlant, on retiendra que l’occurrence « arbre » se retrouve d’ailleurs dans quasiment tous les Codes.
A côté des attendus Code civil et Code forestier, d’autres, comme le Code du
commerce ou encore celui de la propriété intellectuelle, s’y réfèrent[6].
L’arbre fait donc l’objet de nombreuses attentions juridiques[7].
Le droit des arbres est au final relativement disparate et, à notre sens, pas
très bien codifié. Il ressort de ce grand ensemble que « les actions forestières (…)
sont censées désormais provenir d’une construction rigoureuse de techniques et
de modalités d’intervention permettant à lafois laviabilité économique, l’acceptabilité
sociale et la conservation
de labiodiversité et des services environnementaux[8] ».
Ces précisions générales
amènent à une seconde, spécifique à notre étude : celle de l’absence de l’application
de la notion de santé aux arbres. La santé, terme classiquement attaché à l’Homme,
n’a pas fait l’objet d’une transposition aux arbres en droit positif. Cela n’a
rien d’étonnant tant on sait que le pragmatisme n’est pas forcément favorable à
l’extrapolation juridique et encore moins à l’application de concepts humains (comme
la santé) à des choses (comme les arbres).
Cependant, à la lecture du
droit, il nous paraît que la protection de la santé des arbres, bien que non
évoquée en tant que telle, peut être identifiée à travers deux séries de
mécanismes : le premier consiste à fixer des règles permettant de le protéger ;
le second, qui doit s’envisager en complément du précédent, consiste à
instaurer des mécanismes de sanction lorsque l’intégrité de l’arbre est
atteinte.
ii. Les modes de protection de la santé des arbres
A
l’image des politiques de santé publiques la protection de la santé des arbres
peut s’envisager soit de manière individuelle, soit de façon collective en
protégeant, par exemple, les espaces boisés.
De
manière magistrale, le Code forestier reprenant à son compte certaines
dispositions de la loi du 9 décembre 1789, consacre cette idée dans son article
L.
112-1. Par une formule forte, ce dernier précise que « Les forêts, bois et arbres sont placés sous
la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages
collectifs et particuliers ». La Nation est donc la protectrice des
arbres. La formule, dont le symbole est important, admet le principe selon
lequel la collectivité est garante du bien-être des arbres. Allant encore plus
loin, le législateur reconnait, dans ce même article, comme « d’intérêt général… la protection et la mise
en valeur des bois et forêts ».
Le
principe est non seulement de sauvegarder l’arbre et l’espace boisé, mais
également l’écosystème qui l’entoure[9]. La
conservation de l’arbre implique donc une approche globale dans laquelle la
gestion durable des espaces boisées présente un intérêt tout particulier dans
la préservation de toute forme de vie. Le législateur rappelle que les arbres
et leurs forêts concourent à fixer les sols, à assurer les ressources en eaux,
à fixer
le dioxyde de carbone, à lutter contre le changement climatique… L’ensemble
de ces éléments contribue, in fine, à
garantir la protection des milieux en général, et ceux dans lesquels les
individus se meuvent en particulier. L’Homme protecteur devient aussi Homme
protégé.
En
ce sens, « La gestion durable
signifie la gérance et l’utilisation des forêts et des terrains boisés d’une
manière et à une intensité telles qu’elles maintiennent leur diversité
biologique, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à
satisfaire actuellement et pour le futur les fonctions écologiques, économiques
et sociales pertinentes, aux niveaux local, national et mondial : et qu’elles
ne causent pas de préjudices à d’autres écosystèmes[10] ».
Par
un lien causal, la Nation protège les arbres et les arbres quant à eux
participent à la protection de ceux qui forment la Nation.
La
préservation des arbres, ne se cantonne pas à la seule affirmation qu’il s’agit
d’un objet d’intérêt général. En rester là n’aurait conduit qu’à affirmer un
principe dont l’effectivité aurait été aléatoire. Le législateur a complété les
principes généraux et les déclarations d’intentions par des mécanismes
sanctionnant les atteintes au dit principe. Le législateur et la jurisprudence
ont créé un véritable arsenal de protection de la forêt, au point que la
doctrine n’hésite plus à parler de droit pénal forestier[11]. Une
telle qualification n’est pas dénuée de sens si on la considère au regard de l’émergence
de mécanismes de sanction exclusivement applicables à la matière forestière et
détachés des règles générales applicables en droit pénal.
En
ce sens, l’article L. 161-1 du Code forestier définit ce que sont les
infractions forestières. Rentrent dans cette catégorie tous les délits et
contraventions prévus par le Code forestier et les textes qui en découlent. Les
sanctions applicables aux bois et forêts sont entendues de façon extensive. La
jurisprudence considère, entre autres, que le droit pénal forestier s’applique
au-delà de l’espace planté. La Chambre criminelle indique que l’infraction
forestière est caractérisée quand la forêt et son sol sont atteints : « que le sol d’une foret doit s’étendre non
seulement de l’espace plante mais aussi, notamment, des cours d’eau qui la
bordent[12] ».
Le droit pénal forestier protège les forêts et arbres qui la composent contre
une série de périls portant atteinte à leur santé. Les incendies[13], la
mutilation des arbres (exemple : enlèvement d’écorces), l’arrachage
de plants sont de nature à entrainer des condamnations pénales.
Le
droit parait bien armé pour protéger la santé des arbres et, partant, celle des
hommes. Cependant, ce tableau idyllique masque une autre réalité, celle de la
complexité à protéger la santé de l’arbre à une échelle supra nationale.
B. Le droit insuffisamment protecteur de la santé des arbres
i. De nombreuses législations nationales ignorant la santé des arbres
La protection des forêts et des arbres qui les
composent marque de nettes limites dès que l’on sort de nos frontières. Malgré
une prise de conscience grandissante sur la nécessité de préserver les arbres,
de nombreux Etats sont rétifs à imposer des règles de droit en la matière[14]. Le « droit à la santédes
arbres » n’est pas égal en fonction que ces derniers poussent dans
un endroit du globe ou dans un autre.
Les considérations économiques et les
exigences de croissance ne favorisent pas toujours la préservation des espèces.
L’idée que le développement durable puisse être un facteur de développement au
sens large du terme n’est pas encore ancrée dans toutes les politiques
nationales, ou n’y est ancrée que récemment, ce qui n’a pas permis d’adopter
une règlementation suffisamment protectrice. « Souvent des conflits peuvent surgir (…) entre un aménagement forestier à long terme, et les exigences d’une
expansion rapide de l’exploitation, ou entre une politique de classement des
forêts permanentes et l’exercice de certains droits coutumiers de la population[15] ».
Pourtant, les mécanismes de sauvegarde des espaces boisés présentent, sur le
long terme, un enjeu central pour le développement d’un Etat et pour la santé
de sa population. Quand un Etat ne protège pas ses ressources naturelles, les
risques pour la santé de sa population sont réels.
Au terme d’études probantes, les scientifiques
ont démontré[16]
que la déforestation, constatée dans plusieurs endroits du globe, a des
incidences directes sur les modes de vie des populations locales et sur leur
santé. Le bouleversement d’un écosystème, imputable à la déforestation, à la
suppression d’espèce arboricoles endémiques, prive non seulement les
autochtones de la beauté des arbres et de leur cadre de vie – ce qui influe sur
leur santé mentale – mais aussi atteint les ressources traditionnellement
utilisées pour se nourrir, se vêtir…
La déforestation ou « la mauvaise santé des arbres »
favorise également l’apparition de nouvelles maladies voire de pandémies[17].
En Amérique du Sud, « la déforestation de la forêt primaire à des
fins de développement agricole et de l’élevage a indéniablement provoqué une
augmentation du niveau de vie, mais les populations ont aussi payé un coût
important en connaissant une augmentation importante de l’incidence du
paludisme[18] ».
Malheureusement, le constat ne s’arrête pas à ce seul cas. Les exemples
analogues, à travers le monde, sont nombreux et tendent tous vers les mêmes
conclusions. Celles que la santé des arbres, ou pire, la vie des arbres, n’est
pas suffisamment protégée par les législations nationales et que, partant, ce
sont les populations locales qui s’en trouvent atteintes.
Sans que nous puissions davantage insister sur
ce point, nous pourrions dire qu’un Etat qui ne protège pas, juridiquement, ses
arbres est un Etat qui met sa population en danger. L’immobilisme juridique
est, ici, particulièrement coupable.
ii. Un droit international incomplet
La défaillance de nombreux Etats pourrait être
palliée par la création d’un droit international forestier. Le principe est d’autant
plus séduisant que l’on sait qu’en matière environnementale l’action supra
nationale est la plus pertinente[19].
Pourtant, en ce domaine, le cadre juridique international est balbutiant et
insuffisant[20].
L’après Seconde Guerre mondiale, qui a marqué un tournant dans les relations
internationales, n’a pas mis au centre des débats les questions forestières.
Dans les année 1990 les problématiques des gaz à effet de serre[21], de la
qualité de l’air, de la pollution, du changement climatique, ont commencé à
susciter un vif intérêt de la part de la communauté pour la forêt. Très
rapidement, l’arbre, en raison de ses caractéristiques, a été considéré comme
un des vecteurs primordiaux permettant de lutter contre ces nouveaux défis
environnementaux. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le
développement (Cnued), tenue
au Sommet de Rio en 1992, est le premier acte en la matière. Il a « permis une nette avancée sur les politiques
forestières, les pays présents y affirmant leur engagement envers une gestion
durable des forêts et adoptant la Déclaration de principes, juridiquement non
contraignants, mais faisant autorité pour un consensus mondial sur la
conservation et l’exploitationécologiquement
viable de tous les types de forêts. Après le Sommet de Rio de 1992, la Fao est intervenue auprès des Etats pour
les aider à concevoir, mettre en œuvre ou réviser leur Programme forestier
national (Pfn). Dans cette
optique le Groupe intergouvernemental des forêts (Gif) a adopté en 1997 des propositions d’action en matière de
Pfn[22] ».
L’adoption de nouveaux textes n’a pourtant pas
apporté une solution durable et pérenne. Derrière les intentions affichées dès
1992, le droit international s’est montré incapable de créer une stratégie
permettant de promouvoir, à l’échelle mondiale, la protection de la santé des
arbres. A l’échelle régionale, le droit
de l’Union européenne, n’a pas été plus efficace[23]. C’est
tout au plus si une stratégie forestière, essentiellement orientée sur des
considérations économiques, a été instaurée[24]. De son
côté, la jurisprudence européenne s’est montrée très fébrile à envisager le
droit forestier[25].
Tempérant cette approche, La Cour de justice des Communautés européennes a
toutefois considéré que les deux règlements relatifs à la protection des forêts
contre la pollution atmosphérique et contre les incendies constituent des
mesures de défense de l’environnement forestier qui, à ce titre, font partie de
plein droit des actions de l’Union européenne[26] .
Il semble que les enjeux économiques liés à la
ressource forestière aient eu raison de nombreuses tentatives de régulation
internationales. La santé des arbres qui devrait, à notre sens, présenter une
attention particulière, est ainsi reléguée à un second plan. Dans ce marasme, on retiendra
comme lueur d’espoir que la Cour Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme,
a consacré le fait que « des
impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de
propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des
considérations relatives à la protection de l’environnement, en particulier
lorsque l’Etat a légiféré en la matière[27] ».
Par cette affirmation, la Cedh a
fait primer de manière courageuse la protection des arbres sur les intérêts
économiques[28].
II. L’arbre et la santé de l’Homme
Par une formule – qui
symbolise encore aujourd’hui la méconnaissance ou le mépris du phénomène
écologique -, tombée depuis dans la postérité, Ronald Reagan affirmait, il y a plus de vingt ans, que les arbres
produisent davantage de pollution aérienne que les usines. La phrase qui prête
à sourire montre que l’impact des arbres sur la santé humaine est souvent
minoré ou méconnu. Pourtant, les arbres concourent directement ou indirectement
à protéger l’espèce humaine contre un nombre important de fléaux (A)
Néanmoins, le droit éprouve des difficultés à appréhender ce phénomène (B).
A. L’arbre garant de la santé des Hommes
i. L’arbre au service de la santé des Hommes
La
place des forêts dans le monde, quoi qu’importante, reste précaire. Pourtant,
comme l’indique la Fao, « Il est important de mettre en valeur et de
conserver les terres forestières, voire tout l’espace vert, non seulement pour
leur aspect esthétique, mais aussi pour des raisons écologiques, économiques et
sociales. En effet les arbres ont toujours été intimement liés à l’évolution de
la biodiversité terrestre, surtout l’humanité car l’oxygène, l’eau, les
aliments et les médicaments dépendent tous des forêts. Ces dernières
constituent l’élément charnière dans l’adaptation et l’atténuation du réchauffement
climatique[29] ».
En
matière de santé, la forêt occupe une place centrale. Partant, l’importance de
la forêt et des arbres pour la santé de l’Homme peut s’envisager à deux
échelles.
D’abord,
l’arbre influe sur la santé de l’Homme en intervenant sur son environnement[30]. Il
intervient sur son écosystème, favorise la diversité des ressources
alimentaires, est une source d’énergie… Il est alors possible d’écrire qu’en
favorisant la diversité des espèces, l’arbre permet tout simplement d’assurer
la vie de l’espèce humaine. « Si la
diversité apparaît aussi omniprésente, constamment renouvelée, restaurée après
chaque grande crise d’extinction c’est parce qu’elle assure une fonction
essentielle pour l’expression et le maintien de la vie. De fait, il n’y a pas
de vie sans diversité : c’est une caractéristique intrinsèque du vivant[31]».
Enfin,
l’arbre est susceptible d’intervenir directement sur la physiologie de l’Homme.
De nombreux médicaments, cosmétiques dispositifs médicaux sont fabriqués à
partir d’arbres. On constate également, une augmentation du nombre de pratiques
paramédicales utilisant l’arbre comme une source de guérison ou de bien-être[32].
Dans
la relation entre la santé de l’Homme et l’arbre, chaque espèce d’arbre joue un
rôle, exerce une fonction spécifique. Ce principe a d’ailleurs été théorisé,
dans les années 1980, par l’intermédiaire du concept de service écologique,
repris depuis dans le droit positif[33]. Le
service écologique identifie alors le processus grâce auquel les écosystèmes,
avec l’ensemble des espèces, satisfont les besoins des hommes[34].
Dans cette vision « de la nature
utile », l’arbre est un acteur majeur dont l’utilité pour la santé n’a
cessé de s’accroître.
ii. L’arbre remède aux maux des Hommes
Depuis
plusieurs siècles, les civilisations se soignent à l’aide de plantes et d’arbres.
Paracelse, au XVe
siècle théorisa le principe de la signature, selon lequel chaque végétal en
raison de ses caractéristiques intrinsèques est apte à soigner des maux
déterminés.
A
titre d’exemple, « le saule », arbre qui pousse dans les lieux
humides est, en raison de sa signature, capable de soigner les maladies qui s’attrapent
par des climats humides ou qui sont imputables à des pieds mouillés[35]. L’explication
n’emprunte pas uniquement à l’anecdote historique. L’arbre, et la chose est peu
connue, est un élément essentiel de la médecine. Quelques chiffres suffisent à
comprendre l’ampleur du phénomène.
Les
spécialistes estiment qu’aux Etats-Unis, 25 % des ordonnances prescrites
comportent des médicaments dont les principes actifs sont tirés ou dérivés d’arbres
et de plantes. En 1990, les médicaments à base d’arbres et de plantes y
représentaient un budget de 12,5 milliards de dollars. Quotidiennement de
nouveaux médicaments, de nouvelles molécules innovantes sont extraits d’arbres.
Récemment,
la découverte du taxol, extrait de l’écorce de l’if du Pacifique, a permis de
fournir un composant actif dans un nouveau traitement du cancer du sein et de l’ovaire.
Les exemples en la matière sont nombreux et souvent spectaculaires.
Les
arbres offrent donc de nombreux remèdes. Ils permettent, dans l’indifférence la
plus générale de guérir des maladies, de soigner des pathologies avec une
efficacité que les substances chimiques issues de l’industrie n’arrivent pas
égaler.
B. L’arbre : un protecteur méconnu de la santé des Hommes
i. Un problème de reconnaissance de l’apport des arbres
Les
arbres et les plantes constituent des objets d’études et de développements
importants pour la médecine. Contrairement à une idée reçue, les arbres ne se
retrouvent pas uniquement dans des médicaments traditionnels, fabriqués au
milieu des fioles contenant des serpents, dans des petites échoppes des pays
asiatiques. Cette vision, communément admise dans nos sociétés occidentales, ne
correspond que peu à la réalité. L’industrie pharmaceutique et les grands
groupes qui la composent ont bien compris l’intérêt et la valeur que pouvaient
avoir les arbres pour leurs chiffres d’affaires.
Les
pays dans lesquels la législation sanitaire est la plus avancée ont quasiment
tous admis et réglementé la commercialisation de médicaments à base de plantes
et d’arbres. L’Europe n’a pas échappé à la tendance. Le droit de l’Union
définit les médicaments à base de plantes (incluant les arbres) comme « tout médicament dont
les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales
ou préparations à base de plantes ou une association d’une ou de plusieurs
substances végétales ou préparations à base de plantes[36] ».
Les
médicaments à base de plantes répondent, alors, à une réglementation similaire
aux autres médicaments. Les règles de mise sur le marché, les mécanismes de
vente, les vigilances sanitaires sont analogues à toutes les spécialités
pharmaceutiques[37].
Malgré
cette reconnaissance, de nombreux médicaments à base d’arbres sont exclus du
marché européen et, plus globalement, des marchés pharmaceutiques occidentaux.
Nombreuses sont les règlementations à refuser la commercialisation de
médicaments traditionnels. Médicaments qui constituent pourtant la source de l’art
médical dans de nombreux pays du monde. Selon certaines estimations, ce sont
près de 80% des habitants des pays en développement qui dépendent des
médicaments traditionnels dont 50% d’entre eux proviennent de la forêt.
ii. Un problème d’intégration juridique de l’apport des arbres
Les
médicaments à base de plantes autorisées par notre droit ne représentent qu’une
infime partie de l’immense masse qui rentrent dans la catégorie des produits
pharmaceutiques similaires. En effet, de nombreux médicaments, qui sont
pourtant fabriqués à partir d’essences naturelles (plantes, arbres…) sont
tout bonnement exclus de la législation et par conséquent interdit à la vente
dans nos pays. C’est ainsi, que les médicaments traditionnels à base de plantes,
dont une partie importante sont issus de la médecine traditionnelle chinoise,
peinent à être légalisés. La rigidité de la législation, l’inadéquation de ces
spécialités avec les règles de la propriété intellectuelle, sont des obstacles
importants pour les fabricants. L’Union européenne, nonobstant l’adoption de la
directive du 31 mars 2004, n’a guère favorisé l’ouverture de son marché à ces
produits. Les raisons commerciales, qui publiquement laissent place à des
arguments de santé publique, expliquent en partie cette posture. Pourtant, à l’image
de la Suisse ou de l’Australie, de nombreux pays à travers le monde ont ouvert
leur marché aux médicaments traditionnels[38].
Antoine
Leca, relève à juste titre « que l’industrie pharmaceutique occidentale,
basée essentiellement sur la synthèse chimique, n’a pour l’instant rien de
neuf, ni de convaincant à proposer contre plusieurs pathologies. Et l’occident
est à la recherche demédicaments
moins coûteux. Il y aurait donc de bonnes raisons pour faire collaborer les
deux savoirs pharmaceutiques[39] ».
La
législation européenne et française rechigne à faire une place plus importante
aux médicaments confectionnés à partir d’arbres. La pression des grands groupes
pharmaceutiques est sur ce point particulièrement forte. Les enjeux économiques
deviennent alors prépondérants face aux possibles bienfaits que pourraient nous
offrir ces ressources.
Alors
qu’au moment où nous achevons cette étude notre regard se porte sur le Sapin de
Noël, majestueusement décoré et qui dans quelques jours perdra de sa superbe et
sera relégué au rang de déchet, nous ne pouvons que constater que l’arbre dans
toute sa splendeur et son utilité n’a pas la place qu’il devrait avoir. Souvent
considéré comme un vulgaire objet décoratif, il apparait en réalité bien plus
essentiel que cela dans nos vies.
[1] Benoit Boutefeux, Laforêt comme un théâtre ou les
conditions d’une mise en scène réussie, Thèse Ens
Lyon, 2007 ; Vincent Colson, Anne Marie, Sophie Vanwijnsberghe, Loisirs en forêt et gestion
durable, Les Presses
agronomiques de Gembloux, 2012 ; Jacques Liagre, « L’accueil
du public en forêt : fonction sociale de la forêt
française », in, La Forêt
et ses enjeux, Presses Universitaires de Perpignan,
1996.
[4] Michel Badre, « Gestion
et gouvernance forestières : l’évolution de l’action
publique », Rev. for. Française, 2007, n° 5,
p. 484.
[5] Philippe Lacroix, Jean-Louis Roque,
Robert Izard, Michel Lacan, Voyage dans les forêts de l’Hérault : De Saint-Guilhem à l’Espinouse,
Broché, 2011.
[6] Claude Durand-Prinborgne,
« Aspect contemporain du droit de
propriété en matière forestière », Rev.
for. Française, déc. 1966, n° 12, p. 761.
[7] Louis Naud, De la protection des forêts,
V. Giard et E. Brière, 1907.
[8] Gérard Buttoud,
« Débat international sur les forêts et changement d’approche de la
gestion de la politique et de la gestion forestière », Revue Forestière, 2007, p. 443.
[9] Michel Prieur,
Droit, forêts et développement durable, éd. Bruylant, Bruxelles, 1996.
[10] Conférence interministérielle sur la protection des
forêts en Europe, Helsinki juin 1993, résolution H1.
[11] Jacques Liagre,
Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.
[14] Eric Glond (dir.),
Forets et société au Canada, ressources
durables ou horreur boréale ?, septentrion, 2008.
[15] Fao, Fao Forets, La législation forestière dans quelques pays africains, Etude 65,
1986, p. 7.
[16] David Braown,
Bois légal : vérification et
gouvernance dans le secteur forestier, CIFOR, 2009 ; Stéphanie Carrière, Les orphelins de la forets, Ird
éd., 2017.
[17] Stéphane Blanc,
Gilles Boëtsch, Martine Hossaert-McKey, François Renaud, Ecologie de la santé, Cherche midi, 2017, p. 30.
[18] Actes de la conférence
internationale Biodiversité, science et
gouvernance, Paris 24-28 juillet 2005, p. 201.
[19] Pierre-Marie Dupuy, « Où en est le
droit international de l’environnement à la fin du siècle ? »,
Rgdip.,1997,
p. 873 ; Maurice
Kamto, « Les nouveaux principes du
droit international de l’environnement », Rje,
1993, p. 11 ; Raphaël Romi, Droit international et
européen de l’environnement, 2e éd , Montchrestien,
2013 ; Michel Pâques,
La protection de l’environnement au cœur du système
juridique international et du droit interne, acteurs, valeurs et
efficacité, Bruylant , 2003.
[20] Stéphane Doumbe-Bille,Lecadre juridique
international relatif aux forêts. Etat de développement. Actes du colloque des
5 et 6 décembre 2002. Le droit
de la forêt au XXIe siècle –
aspects internationaux, Coll. du droit du patrimoine culturel et naturel, L’Harmattan,
2004, p. 121.
[21] D’après de
nouvelles recherches, les arbres joueraient un rôle bien plus complexe dans la
pollution atmosphérique qu’on ne le pensait précédemment, et certaines espèces
aggraveraient même le phénomène.
[22] Jacques Liagre,
Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.
[23] Isabelle Michallet, La protection des forêts en droit
communautaire. Actes du colloque des 5 et 6 décembre 2002. Le Droit de la
forêt au XXIe siècle – Aspects internationaux, L’Harmattan,
2004, p. 169.
[24] Cons. UE, rés. 1999/C 56/01,
15 déc. 1998, relative à une stratégie forestière pour l’Union
européenne : Joce
n° C 56, 26 févr. 1999, p. 1.
[31] Robert Barbault, « Biodiversité, écologie et
sociétés », Ecologie & politique, 2005,
p. 27.
[32] Voir l’exemple de
la sylvothérapie, Guillaume Decocq,
Bernard Kalaora, Chloé Vlassopoulos, La
forêt salvatrice. Reboisement, société et catastrophe au prisme de l’histoire, Champ Vallon,
2016.
[34] Gretchen Daily,
Nature’s services. Societal dependence on natural ecosystems,
Island Press, Washington, 1997.
[35] Jacques Pellecuer,
« Arbres et médicaments », Aménagement
et nature, 2004, p. 18.
[36] PE et Cons. UE, dir.
2004/24/CE, 31 mars 2004, art. 1er.
[37] Arnaud Lami,
Antoine Leca, Droit Pharmaceutique, Leh,
2017.
[38] Antoine Leca (Dir.),
Droit tradimédical, Leh, 2014.
[39] Antoine Leca, « Quel statut pour la médecine traditionnelle chinoise en droit français » in Antoine Leca, Droit tradimédical, op.cit., p. 65.
Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).
Voici la 6e publication dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’une présentation de l’un.e de nos auteur.e.s d’exception : Mme Delphine Espagno-Abadie.
Profession :
Maître de conférences à l’IEP de Toulouse.
Thèmes de recherche(s) :
Unité du droit, le droit du service public, puissance publique, fonction publique, éducation et enseignement supérieur, droit de l’action publique, droit(s) public(s) méditerranéen (s)…
Quelle a été votre première collaboration / publication aux Editions L’Epitoge ?
Quelle est la publication dont vous êtes le.la plus fier.e / heureux.se ?
Personnellement, je pense que c’est mon ouvrage individuel mais c’est toujours avec bonheur et fierté que je contribue aux éditions L’Epitoge.
Quel est – en droit – votre auteur.e préféré.e ?
Si c’est un auteur disparu, certainement Léon Duguit mais j’ai également une affection particulière pour les écrits de Jean Rivero.
Quel est – en littérature – votre auteur.e préféré.e ?
Difficile de faire un choix… : pour la littérature française, je pense que c’est Victor Hugo ; pour la littérature étrangère, je pense que c’est Philip Roth.
Quel est – en droit – votre ouvrage préféré ?
Les transformations du droit public de Léon Duguit.
Quel est – en littérature – votre ouvrage préféré ?
L’homme qui rit de Victor Hugo.
Volume II : Léon Duguit : de la Sociologie & du Droit
Delphine Espagno
– Nombre de pages : 198 – Sortie : décembre 2013 – Prix : 39 €
ISBN / EAN : 978-2-9541188-6-4 /9782954118864
ISSN : 2272-2963
Présentation :
L’ouvrage que nous propose aujourd’hui Mme Delphine ESPAGNO, (…) est peut-être la plus belle des invitations qui ait été écrite afin d’inciter le lecteur, citoyen et / ou juriste, à comprendre la pensée du doyen de Bordeaux (…). Léon DUGUIT méritait effectivement [les présents] ouvrage et hommage (…) car le doyen, comme Jean-Jacques ROUSSEAU avant lui (…), a longtemps été et est encore souvent présenté soit comme un marginal de la pensée juridique, soit est même dédaigné de façon méprisante comme si sa qualité de juriste lui était déniée. HAURIOU, nous rappelle l’auteure, ira même ainsi jusqu’à affubler DUGUIT d’être un « anarchiste de la chaire » ce qui n’avait manifestement pas totalement déplu à ce dernier ! Car, ce que rappelle Mme ESPAGNO dès son introduction, c’est bien une nouvelle manière de penser et de réinventer le Droit dans son ensemble que nous invite à accomplir Léon DUGUIT. Il n’est pas qu’un faiseur de théorie(s) (comme celles du service public, des agents publics ou encore de l’Etat), il est – pour reprendre l’expression de CHENOT désormais consacrée – un véritable « faiseur de système » dans son sens le plus noble et mélioratif (…). DUGUIT assume en effet son rôle de guide et nous a donné à voir une nouvelle façon d’appréhender le Droit non pas tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Un Droit qu’il a comme réinventé en chaussant de nouvelles lunettes tel le spectateur qui verrait en deux dimensions et désormais en découvrirait – grâce à lui – une troisième. Après Léon DUGUIT, les juristes n’ont ainsi pu feindre de ne concevoir le Droit qu’à l’instar d’un artifice fictif, technique et juridique : le Droit est devenu indissociable de la Sociologie (…). Ce « droit duguiste » nous offre alors grâce à la lumière qu’y dépose avec délicatesse Mme Delphine ESPAGNO la vision renouvelée des relations existantes entre Droit, individu et collégialité ou société (…) En outre, ce que va construire le doyen de Bordeaux n’est pas – comme on le lit encore souvent – une « simple » théorie du service public mais une théorie réaliste de l’Etat par le service public ».
L’ouvrage, publié le 18 décembre 2013 pour le 85e anniversaire de la mort du doyen DUGUIT, a été réalisé grâce au soutien de SCIENCES PO Toulouse ainsi que du COLLECTIF L’UNITE DU DROIT. Il est en outre sorti en parallèle avec un second ouvrage sur l’autre géant du droit public français : Maurice HAURIOU.
Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).
L’extrait choisi est celui de l’article de Mme Mélina Elshoud à propos de l’existence interrogée d’un modèle de justice constitutionnelle en Méditerranée.
Volume IV : Journées Louis Rolland le Méditerranéen – dont – Justice(s) constitutionnelle(s) en Méditerranée
Ouvrage collectif (dir. Laboratoire Méditerranéen de Droit Public Mathieu Touzeil-Divina & Anne Levade)
– Nombre de pages : 214 – Sortie : juillet 2016 – Prix : 39 €
ISBN / EAN : 979-10-92684-08-7 / 9791092684087 ISSN : 2268-9893
Existe-t-il un « modèle » de justice constitutionnelle en Méditerranée ?
Mélina Elshoud Doctorante en droit public à l’université du Maine, Themis-Um, Clud Membre du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
A l’issue de cette journée de colloque, nous ne vous
apprendrons plus, nous l’espérons, l’intérêt qu’il y a à faire de la recherche
– et qui plus est juridique – sur un territoire tel que le bassin
méditerranéen. « Dans ce bassin où
jouent des enfants aux yeux noirs, il y a trois continents et des siècles
d’histoire » chantait la Grecque Mélina Mercouri. La Méditerranée, littéralement la « mer entre
les terres », est le point de rencontre entre l’Europe, l’Afrique et
l’Asie. De fait, elle est, depuis l’Antiquité, un vecteur de confrontations et
d’échanges. Point stratégique et incontournable en matière commerciale et
culturelle, la Méditerranée est, depuis l’Antiquité, un vecteur de
confrontations et d’échanges.
Influences & confluences en Méditerranée.
Populations, cultures, biens, institutions ; tout y est à la fois
différent et familier. Il y a, en Méditerranée, une longue histoire
d’influences, car en effet, des pays qui, par la force des choses, sont tournés
vers les autres et se regardent d’un bout à l’autre du bassin, ne peuvent pas
s’ignorer. Dans un contexte globalisé, elles se sont davantage développées.
Multiples et permanentes, favorisées dans un contexte globalisé, les influences
des uns ont suscité les changements de systèmes et de mentalités des autres (tantôt
l’influence a conduit à un rapprochement, lorsqu’elle a obligé ou lorsqu’elle a
convaincu, tantôt elle a éloigné et différencié, lorsqu’elle a suscité le
rejet).
Coopérations économiques, culturelles, ou politiques,
colonisations et décolonisations, construction européenne et relations diplomatiques,
crises politiques et réformes nationales, relations professionnelles ou
personnelles, nombreux sont les éléments qui ont joué un rôle direct ou
indirect dans les mutations connues par la Méditerranée. Si toutes les sources
d’influence ne sont pas évidentes à déterminer, et s’il est difficile d’identifier
la portée précise de chacune d’entre elles dans les évolutions constatées, il
est certain que les systèmes juridiques nationaux en portent également la
marque.
La protection des droits fondamentaux, le pouvoir de
l’Etat législateur et administrateur, et la justice constitutionnelle tels
qu’ils existent en Méditerranée sont donc aussi le fruit des ces influences
réciproques.
Mutations de la justice constitutionnelle.
On constate que des organes opérant un contrôle de constitutionnalité des lois
sont apparus les uns après les autres partout en Méditerranée et certains tout
récemment, que le contrôle du respect de la Constitution s’est développé,
amélioré, étendu dans chaque Etat méditerranéen et que le rôle des juges
constitutionnels s’y est renforcé. Selon les pays, ces évolutions ont été
lentes, ou brutales, consacrant un emprunt normatif plus ou moins important et
assumé au(x) système(s) existant(s)[1].
Elles ont, pour beaucoup, été justifiées par la complexification de nos
sociétés et la juridicisation des rapports humains. Elles sont aussi le fruit
de la volonté partagée d’harmoniser et d’uniformiser les institutions et leur
fonctionnement pour simplifier leur appréhension par autrui et leur
collaboration entre elles. Plus globalement, ces évolutions s’inscrivent dans
le mouvement d’émancipation des Hommes, qui implique dans nos pays – sous la
contrainte douce ou violente, internationale ou populaire – la reconnaissance
et la protection de droits de chaque individu et la démocratisation de nos
institutions.
Ces influences ont-elles pu aboutir au développement
d’un « modèle » de justice constitutionnelle propre à la méditerranée ?
Quel « modèle » ? Pour
répondre à cette question, il faut nous entendre sur ce qu’est un « modèle ».
Si nous entendons « modèle » comme l’exemple type,
le représentant ou la référence d’une catégorie[2],
il faut rechercher s’il existe en Méditerranée un « modèle » de
justice constitutionnelle qui serait caractéristique des pays méditerranéens
c’est-à-dire qui serait partagé par eux et susceptibles de les distinguer
d’autres pays, d’autres régions, et donc d’autres modèles.
C’est dans ce sens qu’ont été conceptualisés les
modèles européens et américains de justice constitutionnelle[3]. Le
modèle a pour but de simplifier l’appréhension du droit positif et résumer la
réalité – surtout quand elle est complexe[4].
C’est d’ailleurs dans cette optique que la notion est utilisée à l’Université,
auprès des étudiants. Cette modélisation permettrait de faire état, sous
une forme sans doute simplifiée mais accessible et juste, du visage actuel de la
justice constitutionnelle en Méditerranée.
Si nous retenons cette définition du terme
« modèle », alors nous pouvons d’ores et déjà conclure qu’il n’existe
pas de modèle de justice constitutionnelle en Méditerranée. (I)
Par contre, le terme « modèle » a aussi un
autre sens : le « modèle » signifie l’idéal. Comme on évoquerait
l’homme modèle, il pourrait y avoir une justice constitutionnelle modèle en Méditerranée.
Les pays méditerranéens partageraient tous – ou à la grande majorité d’entre
eux – une « affection » pour un modèle de justice constitutionnelle.
Ils auraient aujourd’hui à l’esprit – si ce n’est sur le papier – la volonté de
ressembler, d’aboutir à un modèle de justice constitutionnelle particulier.
Si nous retenons ce sens du mot « modèle »,
nous pensons qu’il existe aujourd’hui un modèle d’inspiration de justice
constitutionnelle en Méditerranée, et qu’il s’est d’ailleurs construit par
référence à une démocratisation souhaitée. (II)
I. L’absence d’un modèle de justice constitutionnelle caractéristique de la Méditerranée
D’une part, les modèles existants (c’est à dire
européens et américains) ne conviennent pas à la réalité méditerranéenne (A) ;
d’autre part, l’analyse des caractéristiques de la justice constitutionnelle
des 22 pays bordant la méditerranée ne permet pas de créer un nouveau
représentant type : un « modèle méditerranéen » de justice
constitutionnelle (B).
A. Insuffisance des modèles européens et américains pour esquisser la réalité méditerranéenne
Il faut rappeler – en écho aux propos d’Antonin Gelblat[5]
– que des juristes se sont évertués à faciliter l’étude des systèmes de justice
constitutionnelle dans le monde en les modélisant. L’une de ces modélisations,
sans doute la plus connue, repose essentiellement sur les caractéristiques du
contrôle de constitutionnalité et veut résumer en deux modèles l’ensemble du
droit positif :
Le modèle européen. Soit l’Etat a
choisi de faire exercer son contrôle de constitutionnalité par un juge dont
c’est la mission principale et qui est le seul à l’exercer (on dit que le
contrôle est concentré). Ce juge ne
peut être saisi que dans le cadre d’un recours direct (qui concerne directement
une question de constitutionnalité) (c’est un contrôle par voie d’action) et il n’exerce cette mission qu’avant la
promulgation de la loi (on dit que le contrôle est fait a priori). Enfin, la décision du juge a, dans ce cas, un effet erga omnes c’est-à-dire qu’elle vaut
pour tous. C’est la description du modèle européen de justice constitutionnelle,
tel qu’il a été inspiré par Hans Kelsen,
dans les années 1920 avec la création de la Cour constitutionnelle
autrichienne.
Le modèle américain. Soit l’Etat a
choisi de faire exercer son contrôle de constitutionnalité par tous les juges
ordinaires et en dernière instance par une Cour suprême – partant du principe
que leur rôle est de faire respecter le Droit, et que la norme
constitutionnelle en fait partie – (le contrôle est diffus). Ce juge est saisi après la promulgation de la loi (a posteriori donc), dans le cadre d’un
recours incident c’est à dire au cours d’un procès dans lequel va se poser une
question de constitutionnalité (recours par
voie d’exception) et les décisions qu’il rend n’ont donc qu’un effet inter partes c’est à dire qui ne vaut
que pour les parties au litige. C’est là, la description du modèle américain de
justice constitutionnelle qui a résulté de la décision Marbury v. Madison rendue par la Cour suprême américaine en 1803.
Une réalité mal représentée. Sans
nier la portée explicative de ces modèles qui permettent de dessiner les
grandes lignes de la justice constitutionnelle établie, il est néanmoins
objectivement constatable que :
– d’une part tous les pays européens n’empruntent pas
au modèle dit européen ; ainsi le contrôle de constitutionnalité de la
Grèce n’a jamais rien partagé avec le modèle européen puisqu’il est exercé par
les juridictions ordinaires et, seulement en cas de conflits entre elles sur la
solution à donner, par une Cour spéciale suprême.
– d’autre part, certains pays n’ont jamais réellement
répondu aux critères de l’un ni de l’autre de ces modèles ; et c’est le
cas d’un certain nombre de pays méditerranéens au nombre desquels l’Albanie
qui, bien qu’ayant une cour constitutionnelle autonome depuis 1992, exerce un
contrôle a priori (seulement pour les
engagements internationaux) et un contrôle a
posteriori des lois, actes administratifs, référendums, engagements
internationaux et jugements, dans le cadre d’un procès ou non.
– enfin, la réforme constitutionnelle française de 2008
a retiré au modèle européen l’une de ses grandes figures pour la laisser devenir
un exemple de « modèle hybride ». En effet, en introduisant la Question
Prioritaire de Constitutionnalité, la France a cessé de répondre au critère
d’un unique contrôle a priori mais
contrôle la loi a posteriori, par
voie de recours incident (dans le cadre d’un procès) et l’obligation pour les
juges ordinaires de filtrer les questions laisse présumer que le contrôle de
constitutionnalité n’est plus tout à fait l’apanage du seul Conseil
constitutionnel.
Avec le temps et les réformes, c’est la quasi-totalité
de la justice méditerranéenne qui n’est pas prise en compte par les modèles
existants.
Si 16 pays sur 22 ont fait le choix d’une cour autonome
spécialisée dans le contrôle de constitutionnalité (premier critère du modèle
européen), aucun n’a fait le choix d’exercer uniquement un contrôle a priori (second critère du modèle
européen). Pour beaucoup le contrôle y est exercé cumulativement a priori et a posteriori, avec des effets différents (inter partes et erga omnes).
On peut citer l’Espagne, la France, l’Italie, l’Albanie, l’Algérie, la Bosnie,
etc. A contrario sur les pays qui ont
fait le choix de donner cette compétence à une cour suprême (Malte, Israël,
Gibraltar, Grèce, Chypre), il faut souligner les particularismes grecs et
maltais. En Grèce, il ne s’agit pas vraiment d’une cour suprême permanente et
placée au sommet de l’ordre de juridiction : c’est une cour suprême ad hoc c’est à dire qui ne se réunit que
lorsqu’il y a un litige sur une question de constitutionnalité, entre le
Conseil d’Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes. Elle se compose
alors de membres de ces trois juridictions, et se réunit dans les locaux du
Conseil d’Etat. A Malte, la Cour constitutionnelle est une cour suprême qui
rend des décisions sur appel des tribunaux ordinaires, mais uniquement en
matière constitutionnelle – a contrario
d’une vraie cour suprême. Enfin, si les recours a posteriori sont dans le modèle américain la porte ouverte à des
recours individuels contre la loi – et c’est tout leur intérêt – dans
plusieurs pays méditerranéens, le recours a
posteriori reste exclusivement réservé aux pouvoirs publics.
Ces constats nous font définitivement penser que les
modèles européens et américains sont dépassés pour rendre compte des entières
réalité et complexité du fonctionnement de la justice constitutionnelle en Méditerranée,
car ils en occultent trop d’éléments.
B. A la recherche du « modèle méditerranéen »
Mais alors existe-t-il un « air de famille »
des juridictions constitutionnelles méditerranéennes susceptible de justifier
la création d’un autre modèle : le « modèle méditerranéen » ?
Il nous semble que non. Si nous reprenons les quatre
critères qui servent de fondement aux modèles européen et américain : 1. le
lieu du contrôle (concentré/diffus) ; 2. le moment du contrôle (a priori/a posteriori) (par voie d’action/par voie d’exception) ; 3. la
forme du contrôle (abstrait/concret) ; 4. la portée du contrôle (erga omnes /inter partes) notre état des lieux est le suivant :
En Méditerranée – et en mettant de côté la Libye eu
égard aux événements qui la paralysent :
– 18 pays ont mis en place un contrôle concentré et 3
ont un contrôle diffus (Gibraltar, Grèce, Malte)[6]
– ils sont 10 juges constitutionnels à exercer le
contrôle a priori et a posteriori (dont une cour suprême) et
11 juges constitutionnels à exercer seulement un contrôle a posteriori (dont quatre cours suprêmes). Il est intéressant de
noter que si les réformes marocaines et tunisiennes aboutissent en fait, plus
aucun pays méditerranéen ne se contentera d’un contrôle de constitutionnalité a priori c’est-à-dire d’un contrôle
préventif avant la promulgation de la loi. En outre, il faut noter que sur 21
recours a posteriori, 6 juridictions
ne proposent pas de recours individuels mais uniquement des recours ouverts aux
pouvoirs publics.
– le contrôle a
posteriori est lui même un contrôle qui peut prendre différentes formes :
il est parfois exercé au soutien d’un recours incident (France) comme d’un recours
direct (Albanie), par les individus seulement (Monaco) ou également par les
pouvoirs publics (Monténégro).
Quant aux caractères abstrait et concret du contrôle,
ils suivent logiquement le type de recours (incident : concret ;
direct : abstrait) avec la donnée particulière que quelques fois les
décisions rendues au terme d’un recours incident ont un effet erga omnes[7].
Nous ne cherchons pas de copies conformes ou de
fonctionnements strictement identiques pour faire émerger un modèle, mais nous
pensons qu’il ne faut pas a contrario
devoir forcer le trait pour que des éléments qui ne présentent pas
d’ « air de famille » se trouvent forcés d’en trouver. Le Pr.
Olivier Jouanjan a dénoncé cette
méthode consistant à déterminer les modèles avant d’en connaître les sujets ;
et de faire les choses à l’envers en façonnant l’intéressé au modèle plutôt que
le modèle à l’intéressé, car alors « la
valeur explicative de ce modèle n’était pas interrogée ».[8]
Le recours à la modélisation se justifie par le besoin
d’expliquer simplement les tenants et les aboutissants d’un système complexe
pour faciliter son étude et sa promotion – et nous savons qu’une modélisation
de la justice constitutionnelle en Méditerranée est aussi ce dont elle a besoin
pour sortir de l’ombre et susciter des intérêts scientifiques dans les
amphithéâtres et les travaux de droit comparé. Mais en l’occurrence, le
contrôle de constitutionnalité n’est, à l’heure actuelle, définitivement pas le
même de l’Italie au Liban en passant par la Grèce et les quatre éléments qui
tiennent à la forme du contrôle de constitutionnalité ne rapprochent pas assez
les juridictions constitutionnelles pour qu’il soit possible d’admettre
l’existence d’un « modèle méditerranéen ».
Dire qu’il n’existe pas de « modèle
méditerranéen », marquant une certaine uniformité du contrôle de la
constitutionnalité des lois dans cette région, ne signifie pas qu’il n’y a pas
des analogies et qu’on ne peut pas relever la volonté partagée de faire émerger
un « modèle » commun. En effet, le terme « modèle » a aussi
un autre sens : le modèle c’est aussi l’idéal, et en retenant ce sens du
mot « modèle », nous répondrons oui à la question introductive de cette
intervention : il y a sans doute un idéal de justice constitutionnelle qui
justifie un certain nombre d’efforts et de réformes en Méditerranée.
II. Un idéal de justice constitutionnelle inspirant la méditerranée
Nous regrettons que la doctrine ait trop souvent résumé
la justice constitutionnelle au contrôle de constitutionnalité et que ledit
contrôle ait lui-même été trop souvent résumé aux quatre critères
susmentionnés. Or, ces critères ne disent pas l’essentiel. Ils occultent
beaucoup d’éléments sur lesquels les pays méditerranéens ont agi ces 50, ces
30, ces 10, ces 3 dernières années, et qui font le visage actuel et futur de la
justice constitutionnelle. (A) C’est l’analyse de l’ensemble de ces éléments
qui permet de révéler le rôle conçu par les sociétés méditerranéennes pour leur
juge constitutionnel : il doit être un véritable garant dans la Cité. (B)
A. Au-delà du contrôle de constitutionnalité
Actuellement, on ne prend pas en compte, dans la
modélisation proposée, un certain nombre d’éléments caractéristiques du juge
constitutionnel lui-même (indépendance, impartialité, etc.), qui peuvent
influer sur le contrôle de constitutionnalité des lois, et à propos desquelles,
les Etats méditerranéens ont poussé de nombreuses réformes.
La recherche d’une plus grande indépendance[9]. Comme s’est notamment plu le Pr. Troper à le défendre, l’indépendance
des juges sert ainsi avant tout à préserver les qualités de la loi.
D’abord, l’indépendance s’incarne en Méditerranée dans
le libellé des textes et de la jurisprudence constitutionnelle. Elle s’incarne
aussi dans des conditions de nomination et de révocation plus encadrées :
en 2008, Israël imposait désormais la majorité qualifiée au comité
parlementaire de nomination des juges constitutionnels. Elle s’incarne aussi
dans la durée de la fonction et l’impossibilité d’y être renouvelé : à
l’heure actuelle, seule la Syrie permet encore à un juge constitutionnel d’être
renouvelé dans ses fonctions quand la possibilité a été retirée partout
sur le bassin. Elle s’incarne enfin encore dans le changement de forme ou le
changement de nom de l’organe constitutionnel : l’Egypte et le Maroc ont
ainsi abandonné la chambre constitutionnelle de la Cour suprême pour y préférer
une Cour constitutionnelle indépendante et les débats parlementaires grecs
prouvent qu’on y a également songé il y a quelques années ; la Tunisie et
le Maroc ont aussi fait le choix du symbole en décidant d’abandonner le nom de « Conseil
constitutionnel » pour y préférer celui de « Cour constitutionnelle »,
tandis que la France l’a seulement évoqué[10].
La recherche d’une plus grande impartialité. Elle s’incarne comme l’indépendance, par
une constitutionnalisation massive dans le bassin méditerranéen de mécanismes
de révocation et de désistement, et d’une liste d’incompatibilités.
Un jugement de qualité. Dans la même
idée, on relève un certain nombre de réformes qui ont recherché la qualité dans
la fonction de juger. Ainsi, la désignation d’hommes et de femmes ayant une
expérience de juriste est devenue une obligation partagée et de plus en
plus de textes constitutionnels insistent sur leur intégrité. La collégialité
du jugement est un préalable partout en Méditerranée. Les Etats ont eu tendance
à augmenter le nombre de juges constitutionnels (de 7 à 9 pour l’Algérie, et de
5 à 13 pour Chypre) et ont développé la publication des opinions dissidentes
(le Liban est le dernier pays à l’avoir prévu par une réforme de 2008).
L’accessibilité. On note une
tendance à favoriser l’accès au juge constitutionnel, par la saisine
individuelle évidemment mais également par le développement d’autres moyens de
saisine protégés de la pression politique (ainsi, la Cour constitutionnelle de
Croatie voit dans sa capacité de s’autosaisir, une garantie dans des situations
d’instabilité politique). De nombreux Etats ont organisé la gratuité de la
procédure devant le juge constitutionnel, amélioré le délai de saisine et de
jugement, et ont permis l’accès à la jurisprudence constitutionnelle (sur
internet notamment).
Tous ces éléments démontrent l’existence, en
Méditerranée, d’une volonté de « juridictionnaliser » davantage le
contrôle de constitutionnalité.
En outre, à l’analyse du droit positif, il est clair
que la justice constitutionnelle ne se résume pas au contrôle de
constitutionnalité des lois : d’une part, de nombreux juges
constitutionnels sont également juges de la constitutionnalité des actes administratifs,
des traités, des jugements des tribunaux ordinaires ou encore des référendums ;
d’autre part, le juge constitutionnel méditerranéen est souvent plus qu’un juge
de la constitutionnalité des normes, puisqu’il peut être aussi juge électoral,
juge des conflits, ou juge de la légalité des actes.
Il faudrait pouvoir compter tous ces éléments comme
nouveaux critères d’un modèle de justice constitutionnelle, parce qu’ils
expriment le sens et le rôle donné à notre époque, et notamment en Méditerranée,
à la justice constitutionnelle : un garant de la suprématie de la
Constitution, un facteur de démocratisation par la promotion des droits de
l’Homme et un outil de réalisation de l’Etat de droit.
Les efforts réalisés sur ces points prouvent qu’il y a
une convergence vers un modèle au sens d’idéal de justice constitutionnelle en
Méditerranée.
B. L’institution d’un juge constitutionnel, un indice de démocratisation ?
Si les gouvernants souverains ne sont pas obligés de
créer une cour constitutionnelle mais qu’ils le font ; s’ils ne sont pas
obligés de rendre leur fonctionnement effectif, mais qu’ils le font ;
c’est qu’il y a, c’est une évidence, une volonté, une opinion éclairée et
gouvernante, voire pragmatique, qui les y poussent.
des influences européennes. Nous
dirons alors, à ce propos, un dernier mot de deux parties de la Méditerranée où
les changements en matière de justice constitutionnelle ont été les plus
récents et nombreux. Il s’agit des pays ayant connu les révolutions arabes, et des
pays situés à l’est de la Méditerranée. Dans ces Etats, les changements
relatifs à la justice constitutionnelle, sont le fruit de fortes influences,
internes et externes : tantôt celle d’un peuple qui contraint à évoluer,
tantôt celle d’un réseau international dont on souhaiterait obtenir la
reconnaissance. La volonté d’intégrer l’Union européenne a ainsi par exemple
beaucoup joué – et joue encore pour certains – dans les modifications opérées
en Albanie, en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro et en Croatie.
Les convergences constatées dessinent probablement un
double mouvement de l’Europe vers la Méditerranée et des Etats méditerranéens
vers l’Europe ; en ce sens, c’est l’Europe en tant qu’entité politique qui
sert de point de repère pour les Etats qui veulent changer ou se voient
contraints, par un monde changeant et globalisé, à changer.
Le juge aiguilleur. Enfin, il nous
semble que si cet idéal de justice est recherché par les peuples et leurs
gouvernants méditerranéens, le juge constitutionnel lui-même y contribue,
lorsqu’il affirme son rôle et met en place de nouvelles garanties pour les
citoyens. C’est le cas du Conseil constitutionnel libanais lorsqu’il impose au
législateur de remplacer toute loi garantissant une liberté fondamentale
abrogée par une loi offrant des garanties équivalentes. C’est le cas de la Cour
constitutionnelle turque lorsqu’elle a ordonné le déblocage de Twitter et
Youtube et ouvert son propre compte Twitter, confirmant ce faisant, son
attachement à la liberté d’expression. C’est le cas encore de la Cour suprême
d’Israël dont on reconnaît l’activisme parce que la Constitution est lacunaire
et laisse un bon nombre de questions en suspens auxquelles ni le pouvoir
exécutif ni le pouvoir constituant ne répondent.
Si, comme nous le pensons, cet idéal de justice
constitutionnelle existe et est partagé en Méditerranée, nous pourrions être
amenés, dans 5, 10 ou 20 ans, à revoir notre réponse à la question du
« modèle », car cet idéal aura peut être conduit à l’apparition d’un
vrai « modèle » – au sens premier du terme – de justice constitutionnelle.
[1]
Pour ne citer que quelques exemples : il est
communément admis que le Conseil constitutionnel libanais a été construit sur
le modèle du Conseil constitutionnel français. M. Wajdi Mallat, ancien Président du Conseil constitutionnel, le
surnommait d’ailleurs l’« enfant adoptif » du Conseil constitution
français. Sur ce point, voir le rapport de la Commission des lois du Sénat
n°111 intitulé « Quel avenir pour le Liban ? ». De même, on
comprend logiquement que la Cour constitutionnelle maltaise, membre de la
République du Commonwealth, se soit inspirée du modèle américain de justice
constitutionnelle. Enfin, la présence de juges européens siégeant dans la cour
de Bosnie-Herzégovine explique sans doute l’importance donnée à la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme dans les décisions de
la Cour constitutionnelle.
[2]
C’est dans ce sens du terme « modèle »,
comme la « solution-type », que Guillaume Tusseau livre son analyse du choix d’un modèle de contrôle de
constitutionnalité : « Les causes du choix d’un modèle de contrôle de
constitutionnalité » in Jus Politicum ;
n°13 ; 2014 ; p. 2. [En ligne :
http://juspoliticum.com/numero/la-justice-constitutionnelle-contemporaine-modeles-et-experimentations-61.html]
[3]
A propos de cette modélisation et de ses
critiques, voir Eisenmann Charles,
La justice constitutionnelle et la Haute
cour constitutionnelle d’Autriche ; Paris, Lgdj ; 1928 ; Maulin
Eric, « Aperçu d’une histoire française de la modélisation des
formes de justice constitutionnelle » in
Grewe Constance, Jouanjan Olivier, Maulin Eric, Wachsmann Patrick (dir.), La notion de « justice constitutionnelle » ; Paris,
Dalloz ; 2005 ; p. 137 ; Tusseau
Guillaume, « Les causes du choix d’un modèle de contrôle de
constitutionnalité » in Jus
Politicum ; n°13 ; 2014 [En ligne :
http://juspoliticum.com/numero/la-justice-constitutionnelle-contemporaine-modeles-et-experimentations-61.html] ; Jouanjan
Olivier, « Modèles et représentations de la justice constitutionnelle en
France : un bilan critique » inJus Politicum ; n°2 ; 2009. [En
ligne :http://juspoliticum.com/numero/droit-politique-et-justice-constitutionnelle-5.html].
[4]
L’effort de modélisation est un préalable
nécessaire pour appréhender la justice constitutionnelle dans vingt-deux pays
méditerranéens.
[5]
Voir supra la contribution de Monsieur Antonin Gelblat intitulée « La saisine
parlementaire du juge constitutionnel dans les Etats du bassin
méditerranéen ».
[6] Si la République chypriote prévoit que le contrôle de constitutionnalité est exercé par la Cour constitutionnelle suprême, il faut souligner qu’elle n’est pas une cour autonome à l’ordre de juridiction en place, mais qu’elle est néanmoins la seule juridiction à pouvoir exercer cette compétence. Toute question relative à la constitutionnalité d’une loi qui serait soulevée dans une instance ordinaire devrait être transmise à la Cour constitutionnelle suprême, seule à même de statuer. Voir en ce sens l’article 144 de la Constitution de la République de Chypre. Cette remarque vaut également pour l’Etat d’Israël qui, dans le silence de la Loi fondamentale, voit la Cour suprême – également Haute Cour de Justice – exercer seule le contrôle de constitutionnalité des lois. Voir en ce sens : Navot Suzie, « La Cour suprême israélienne et le contrôle de constitutionnalité des lois » in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n°35, avril 2012, (en ligne : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-35/la-cour-supreme-israelienne-et-le-controle-de-constitutionnalite-des-lois.105488.html#_ednref6).
[7]
Voir en ce sens Tusseau
Guillaume, « Les causes du choix d’un modèle de contrôle de
constitutionnalité » in Jus
Politicum ; n°13 ; 2014 ; p. 14 [En ligne :
http://juspoliticum.com/numero/la-justice-constitutionnelle-contemporaine-modeles-et-experimentations-61.html].
[8]
Jouanjan Olivier, « Modèles et représentations de la
justice constitutionnelle en France : un bilan critique » inJus
Politicum ; n°2 ; 2009 ; p. 9[En ligne :http://juspoliticum.com/numero/droit-politique-et-justice-constitutionnelle-5.html].
[9]
Voir sur ce point supra la contribution du Pr. Fabrice Hourquebie.
[10] Sur ce point, voir
la proposition de loi française n°1044 tendant à réformer le Conseil
constitutionnel déposée le 17 mai 2013.
Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).
L’extrait choisi est celui de l’article du désormais docteur en droit public Antonin Gelblat à propos de l’opposition parlementaire dans les séries télévisées.
De l’opposition parlementaire dans les séries télévisées
Antonin Gelblat Ater de droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Credof, Associé au laboratoire Themis-Um (ea 4333), membre du Collectif L’Unité du Droit
« Il y a deux choses au monde dont il ne faut pas expliquer la fabrication : les lois et les saucisses »[1] !
Ces propos du secrétaire général de la Maison-Blanche
dans la série The West Wing semblent
contredire l’ambition pédagogique de la série télévisée politique. Celle-ci est
généralement considérée comme un genre moins noble que le cinéma mais elle n’en
mérite pas moins une étude spécifique. D’abord parce qu’il s’agit d’un genre en
pleine expansion (on en trouve aussi bien aux Etats-Unis qu’en Corée, en Israël
ou en Australie) et que ces productions sont susceptibles de toucher un public plus large que le cinéma. Leur impact
sur le spectateur (et le citoyen) est peut-être plus important. Elles
prétendent ensuite, à la différence du film politique qui est le genre de l’exceptionnel
et relate le plus souvent un évènement particulier, décrire la quotidienneté du
travail politique et ses coulisses. Les séries politiques ont donc une
prétention, fut-elle implicite, à révéler une certaine réalité du
fonctionnement des institutions. Mais le traitement qu’elles réservent l’opposition
peut aussi éclairer les représentations et les idéologies politiques que ces
séries véhiculent. C’est ce dont cette étude cherchera à rendre compte.
Faute toutefois de pouvoir prétendre à l’exhaustivité,
on s’en tiendra à comparer deux œuvres particulières, The West Wing[2] et Borgen[3]. Ce
choix doit permettre de déterminer ce qui, dans la construction d’une
représentation de l’opposition, relève du système institutionnel retenu et de
la manière dont l’opposition s’y déploie d’une part, et ce qui relève de
jugements de valeur, de prises de position sur ce que devrait être l’opposition,
d’autre part. Toutefois, avant de justifier ce choix, il convient de lever un
premier obstacle tenant à la définition de l’objet d’étude.
Il était fréquent, chez les constitutionnalistes
français, de relever la pauvreté de la littérature juridique relative à l’opposition[4] et de
l’expliquer par l’inconfort que suscite, pour la doctrine, une telle notion qui
renverrait à « une réalité
insaisissable quelque part entre droit et politique, entre le jeu des
institutions et celui des rapports de forces »[5]. Dès
lors, on peut constater que « définir
l’opposition n’est pas chose facile»[6].
Difficulté accrue si l’on entend se doter d’une définition qui puisse rendre
compte à la fois des systèmes américains et danois pris pour objet par les
séries en question. Aucun de ces deux Etats ne traite, à la différence de la France
depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, de l’opposition dans
leurs textes constitutionnels. De surcroit, la définition courante, issue du
modèle de Westminster, apparait inadaptée tant à la situation danoise
qu’américaine. Pour la première, la difficulté vient du fait que, pour de
nombreux auteurs, il ne peut y avoir d’opposition que minoritaire puisque le
Gouvernement doit, en Angleterre tout du moins, bénéficier de la confiance explicite
d’une majorité parlementaire. Or cette définition arithmétique échoue à rendre
compte du régime parlementaire danois au sein duquel le gouvernement peut-être
minoritaire. Dès lors, pour rechercher une définition de l’opposition
applicable à ce système politique, on pourrait reprendre à notre compte les
propositions du Professeur Jan :
« L’opposition est autant une action
qu’une institution, celle-ci précédant celle-là ; L’opposition […] consiste en une activité politique »[7]. Pour
le professeur Pimentel, elle est « l’ensemble des groupes qui contestent
le Gouvernement. Autant dire que l’opposition est un rôle, une fonction
endossée par un groupe, mais non pas ce groupe lui-même » [8].Toutefois,
ces définitions ne permettent pas de traiter de la seconde situation. Certains
considèrent d’ailleurs qu’il n’existerait pas « de véritable opposition au sein du Congrès »[9], du
fait de l’absence de discipline de vote en son sein[10] et
de l’indépendance du Président. Pour les besoins de l’étude, on retiendra donc
une conception ouverte de l’opposition qui renvoie à l’ensemble des
parlementaires, quel que soit leur nombre et leur appartenance partisane, qui
réprouve, ponctuellement ou systématiquement, l’action conduite par l’exécutif
en usant des moyens politiques et juridiques que leur offre leur statut pour la
contester.
Cette définition doit permettre de comparer les
représentations de l’opposition produites par The West Wing et Borgen,
deux séries politiques à succès, aussi bien populaire que critique[11]. On
peut donc supposer que ce sont celles qui ont l’influence la plus grande sur le
public, si tant est qu’elles puissent en avoir une. Ces fictions sont toutes
deux focalisées sur l’Exécutif, le Président des Etats-Unis démocrate Josiah Bartlet et son staff d’une part, et le
premier Ministre danois centriste Birgitte Nyborg
de l’autre[12].
Cela ne constitue toutefois pas un obstacle à l’étude du traitement qu’elles
réservent à l’opposition parlementaire. En
effet, si le Parlement est rarement représenté directement, suggérant peut-être
qu’il n’est pas le centre du pouvoir, l’opposition parlementaire est en
revanche au cœur des préoccupations de l’Exécutif. Elle sera donc appréhendée à
travers l’attitude que lui témoigne le gouvernement, ce qui permettra de s’intéresser
plus particulièrement à la mise en scène des rapports de force politique. Ces
deux séries dramatiques entretiennent en outre des liens complexes avec la
réalité. Il s’agit bien évidemment de fictions, mais qui n’hésitent pas à
entretenir une forme de dialogue avec l’actualité politique[13]. Il
leur a même été prêté des capacités à anticiper, voire même à façonner le jeu
politique. Ainsi, l’élection de Matt Santos,
premier président hispanique des Etats-Unis dans la saison six de The West Wing, a été considérée comme la
préfiguration de l’élection de Barack Obama
(qui avait lui-même inspiré le personnage alors qu’il était encore sénateur de
l’Illinois). De même la création de Borgen
a précédé de peu, la nomination de Helle Thorning-Schmidt,
première femme à diriger le gouvernement Danois. Il n’en fallait pas plus pour
que ces séries se voient dotées d’une capacité d’influence politique,
généralement considérée comme progressiste, sur son public. Il semble donc a priori que ces œuvres soient toutes
deux empreintes d’un certain réalisme, mais aussi d’un certain activisme, qui
justifient que l’on s’intéresse à la manière dont elles représentent l’opposition.
Ces deux séries présentent toutefois des différences
notables, tant sur le fond que sur la forme, susceptibles de faire varier ces
représentations. Sur la forme d’abord, elles n’adoptent pas tout à fait le même
angle de vue, ce qui tient sans doute aux dix années qui les séparent. The West Wing emprunte à l’épopée et
exalte la parole publique. Les personnages principaux n’ont quasiment pas de
vie privée et apparaissent comme des surhommes très brillants
intellectuellement (les femmes sont assez peu présentes et, pour la plupart,
reléguées à des rôles secondaires, à l’exception notable de C.J. Cregg qui deviendra secrétaire générale
de la Maison-Blanche). Borgen, au
contraire, relève davantage de la tragédie et pose un regard plus critique et
plus sombre sur la vie politique en s’attachant davantage aux affaires
judiciaires et aux scandales médiatiques. La vie privée occupe une place plus
importante et la difficulté à concilier les rôles de Premier ministre, de mère
et d’épouse est au cœur du scénario. Sur le fond surtout, ces séries prennent
pour objet deux systèmes politiques qui semblent, de prime abord, très
différents : Les Etats-Unis d’une part, soit un Etat fédéral de trois
cents quinze millions d’habitant mettant en œuvre un régime qualifié de présidentiel,
bicaméral, et majoritaire; le Danemark de l’autre soit un Etat unitaire de cinq
millions et demi d’habitants doté d’un régime qualifié de parlementaire, monocaméral
et proportionnel.
Or il apparait pourtant que The West Wing et Borgen
produisent une représentation relativement similaire de l’opposition. Elles
offrent l’image d’oppositions parlementaires puissantes et respectées par un
Exécutif soucieux de recueillir leurs consentements, ce qui revient à faire l’éloge
d’une opposition constructive et à travers elle, d’un pouvoir exécutif garant
du pluralisme (I). Mais lorsqu’un désaccord survient, l’opposition est
surmontée et ne parvient jamais à reconquérir le pouvoir ; ce qui révèle
la critique d’une opposition conflictuelle et, en filigrane, de l’institution
parlementaire elle-même (II).
I. Eloge d’une opposition parlementaire constructive
L’opposition parlementaire est placée en situation de
force politique (A). Elle met ainsi en valeur un pouvoir exécutif soucieux de
respecter l’avis de son adversaire, conscient qu’il est des bienfaits du
pluralisme des idées et des opinions (B).
A. La force politique des oppositions parlementaires au pouvoir Exécutif
Les oppositions parlementaires sont dans une position
politique enviable. A la Maison-Blanche, le Président doit affronter une
majorité hostile au Congrès (i), tandis que la coalition gouvernementale
danoise est pour le moins fragile (ii).
i. Au Congrès : une majorité hostile
Si les élections constituent un moyen privilégié de
représenter l’opposition, la place consacrée aux législatives est faible par
rapport aux campagnes présidentielles qui, de la candidature à l’investiture
occupent plusieurs saisons. Toujours est-il que dans The West Wing, ces élections tournent généralement en défaveur du
camp démocrate auquel appartient le Président, qui verra face à lui, et pendant
deux mandats, une majorité républicaine non seulement à la chambre des
représentants mais aussi au Sénat. Un épisode relate notamment des midterms qui aboutissent à un statu quo parfait[14]. Un
autre décrit les bénéfices politiques que la Maison-Blanche espère tirer de la lame duck session (période
post-électorale au cours de laquelle le Congrès siège encore sans que les
nouveaux élus ne soient entrés en fonction) mais un représentant démocrate
désavoué dans les urnes refuse d’aller à l’encontre de la nouvelle volonté
manifestée par ses électeurs en votant le projet défendu par la Maison-Blanche[15]. A
cette majorité hostile s’ajoute, du fait de l’absence de discipline de vote, l’opposition
ponctuelle de certains parlementaires démocrates. En témoigne la défection de
cinq d’entre eux au soutien d’un projet de loi de lutte contre les armes,
soutenu par l’Exécutif[16], qui
doit en urgence identifier ces opposants de dernière minute et les convaincre
de renoncer. Le Président se trouve donc en position de faiblesse face à l’opposition
et doit continuellement composer avec elle pour mener à bien sa politique
législative.
ii. Au Folketing : une coalition gouvernementale précaire
Dans la série Borgen,
la création du cabinet Nyborg est
extrêmement délicate. Le parti centriste a fortement progressé aux élections
législatives et sa dirigeante a été nommée formatrice royale du Gouvernement.
Mais le leader du parti travailliste, qui demeure le plus important de la
coalition gouvernementale, revendique le poste de Premier ministre. Toutefois,
la brusque chute politique de ce dernier et un « coup de bluff » de
la centriste (qui laisse entendre à ses alliés qu’elle pourrait accepter une
offre alléchante de l’autre camp et ainsi renverser la majorité) lui permettent
de former un cabinet et de s’appuyer sur une majorité composite de 91 voix
contre 88 à l’opposition[17]. La
majorité gouvernementale est alors, dès l’origine, fragile tandis que l’opposition
(constituée des libéraux, de la nouvelle droite et du parti de la liberté) se
présente unie. La coalition ne
résistera d’ailleurs pas longtemps puisque le retrait du parti de l’environnement
conduit à un Gouvernement minoritaire. En vertu du parlementarisme négatif, le
Gouvernement, même minoritaire, peut se maintenir tant qu’il ne dispose pas d’une
majorité explicite à son encontre, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.[18].
Mais dès lors, l’opposition presse le cabinet Nyborg
d’organiser des élections législatives anticipées puisque la conjoncture
politique lui est favorable[19]. Le
pouvoir exécutif ne bénéficie du soutien déclaré que d’une minorité de
parlementaire et doit lui aussi, pour mener à bien son programme législatif,
coopérer avec ses adversaires.
B. La prise en compte des oppositions parlementaires par le pouvoir exécutif
Le pouvoir exécutif, qui fait l’apologie du pluralisme
et affiche son respect de l’opposition parlementaire, cherche en permanence à
prendre en compte son avis. Les compromis, à travers The West Wing (i), et les consensus, à travers Borgen, sont exaltés (ii).
i. A la Maison-Blanche : l’art du compromis
La présidence loue le bipartisme et affiche son respect
de l’opposition. Mais ce n’est pas la situation politique qui conduit l’exécutif
à adopter une telle attitude, qui n’apparait pas contrainte mais semble plutôt
traduire sa croyance sincère dans les vertus du pluralisme et la confiance qu’il
place dans le système institutionnel américain[20].
Ainsi le Président peut-il affirmer : « Partisan politics is good. Partisan politics is what the
founders had in mind. It guarantees that the minority opinion is heard, and as
a lifelong possessor of minority opinions, I appreciate it »[21]. Son secrétaire général
apparait même prêt perdre le pouvoir à condition que le débat public en sorte
grandi : « We’re going to lose some
of these battles. We might even lose the White House. But we’re
not going to be threatened by issues. We’re going to put them front and center.
We’re going to raise the level of public debate in this country. And let
that be our legacy »[22]. La
présidence recherche donc constamment le compromis, comme l’illustre la
nomination d’un Vice-président démocrate, pourtant jugé médiocre, à partir d’une
liste de candidats établie par le speaker
républicain de la chambre, pour recueillir la nécessaire approbation du Sénat[23]. La
Maison-Blanche va plus loin et tend à reproduire, en son sein même, le dialogue
qu’elle mène avec l’opposition parlementaire. Deux exemples permettent de l’illustrer.
Il s’agit d’abord de l’embauche d’une conseillère juridique et même d’un
secrétaire général adjoint républicains qui intègrent le staff présidentiel, et
contribuent à ses débats[24]. Il
s’agit ensuite du remplacement du Président par le principal leader de l’opposition.
Suite à l’enlèvement de sa fille, le Président, conscient de son manque d’objectivité,
invoque le XXVe amendement pour être temporairement suppléer par son
Vice-président. Mais celui-ci ayant démissionné du fait d’un scandale sexuel
sans avoir été déjà remplacé, c’est finalement au Président de la chambre, un
républicain ultra-conservateur, que le Président démocrate transmet ses
pouvoirs, au nom de l’intérêt général et au risque de renforcer l’opposition[25].
ii. A Christiansborg : l’importance du consensus
Dans Borgen,
le Premier ministre danois affiche également son respect de l’opposition et
exalte le consensus sans que, là encore, cette attitude semble uniquement dictée
par la situation politique délicate qu’il affronte, mais aussi par une réelle
conviction des bienfaits d’une telle démarche[26].
Ainsi, lors du discours d’ouverture de la session parlementaire, et suite à un
remaniement ministériel, le Premier ministre célèbre l’unité du peuple danois
et de sa classe politique obtenant les félicitations, officieuses, de l’opposition[27]. La
priorité du cabinet Nyborg est d’ailleurs
un ensemble législatif baptisé « avenir commun », auquel il souhaite
associer l’opposition, pour obtenir une approbation parlementaire la plus large
possible[28].
Cette volonté de consensus se retrouve également au sein du Gouvernement qui
reflète les rapports de force au Parlement. Ainsi, dépendante du soutien du
parti travailliste qui progresse dans les sondages, le Premier ministre est
obligé de se séparer de son ministre des finances centriste pour céder le poste
à un travailliste dont le parti menace, dans le cas contraire, de quitter la
majorité[29].
Le consensus demeure donc une nécessité absolue pour la coalition
gouvernementale si elle souhaite conserver le pouvoir face à la puissance de l’opposition,
comme en témoigne l’apaisement des tensions entre travaillistes et écologistes
au sujet de l’opportunité du retrait des troupes d’Afghanistan[30].
L’opposition est valorisée lorsqu’elle collabore avec
le Pouvoir Exécutif et accepte la démarche constructive initiée par ce dernier
qui a en face de lui un adversaire puissant et qu’il respecte. En conséquence,
il recherche toujours une solution constructive et pacifique à leurs désaccords.
Mais lorsque l’opposition refuse une telle solution, elle est inévitablement
conduite à la défaite.
II. Critique d’une opposition parlementaire conflictuelle
Dans les deux séries, les conflits qui s’élèvent entre
le Pouvoir exécutif et l’opposition naissent toujours de la volonté de cette
dernière de faire prévaloir ses intérêts particuliers quand l’exécutif n’a de
cesse de défendre l’intérêt général, révélant ainsi l’infériorité morale des
parlementaires de l’opposition (A).Mais,
fort heureusement, le sens tactique et politique de l’Exécutif lui permet
toujours de faire triompher ses vues dans une arène parlementaire représentant la
« politique politicienne » (B).
A. L’infériorité morale des parlementaires de l’opposition
Les parlementaires de l’opposition symbolisent les
intérêts particuliers face à l’intérêt général incarné par l’Exécutif. Cette faiblesse
morale de l’opposition prend la forme du clientélisme à la Maison-Blanche (i),
et du carriérisme dans Borgen (ii).
i. Au Congrès : le clientélisme
Dans la série américaine, ce phénomène se manifeste par
le lobbysme auquel cèdent les parlementaires de l’opposition prêts à sacrifier
la défense de leurs convictions contre l’assurance d’une réélection. On peut
ainsi voir des représentants démocrates s’opposer à une réforme des droits de
succession initiée par la Maison-Blanche car « la 1ère génération de millionnaires noirs va bientôt mourir »[31]. D’autres,
convaincus par un groupe d’intérêt féministe, refusent d’entériner le compromis
trouvé avec les républicains qui acceptent de voter une loi de protection
sociale en échange d’un amendement en faveur du mariage[32]. Ces
évènements sont toujours dépeints négativement, comme autant d’entraves à la
réalisation du projet présidentiel. Mais cette vision dépréciative ne se
retrouve pas quand la Maison-Blanche agit elle-même comme un lobby vis-à-vis du
Congrès[33]. D’ailleurs,
elle peut tout à la fois initier officieusement un « non controversial bill » portant une réforme d’ampleur du
système de retraites et renoncer à en tirer les bénéfices politico-médiatiques,
démontrant ainsi la supériorité morale du Président sur le Congrès[34]. Les
parlementaires sont prêts à toutes les manœuvres pour se maintenir dans leurs
fonctions, contrairement à la Maison-Blanche qui ne manifeste pas un tel
électoralisme. En refusant d’installer dans son Etat un lanceur de missile qui
ne fonctionne pas, la Maison-Blanche fournit à un sénateur le prétexte attendu
pour quitter le parti démocrate et rejoindre les Républicains. Il augmente
ainsi ses chances de réélection et ruine celles des démocrates de reconquérir
la majorité[35].
Un représentant accepte quant à lui de ne pas surmonter un véto présidentiel, à
condition que l’Aile-ouest ne s’oppose pas à sa réélection[36].
Alors que le Président tente de mettre en œuvre son grand dessein pour le pays,
les parlementaires se préoccupent avant tout de satisfaire leur électorat[37].
ii. Au Folketing : le carrièrisme
L’opposition permet à Borgen de mettre en scène l’autarcie d’une classe politique et de
dénoncer les profits personnels que retirent de leur position des politiciens
rongés par l’ambition. Peu avant les élections, tandis qu’il vient d’uriner
dans la cour du Parlement, le leader du parti travailliste, alors dans l’opposition,
peut affirmer au « spin doctor » de la leader centriste :
« Le peuple décide que dalle, c’est
un petit cercle de privilégiés qui décide de ce qui se passe au Danemark […] et aussi longtemps que je serai dans ce
cercle, ils peuvent appeler ça démocratie ou comme bon leur semble ».
Ce petit cercle fait d’ailleurs figure de véritable panier de crabes. Dans le
même épisode, le Premier ministre libéral utilise malencontreusement, et dans
la hâte, la carte bancaire du ministère pour régler les achats de sa femme,
visiblement dépressive, et éviter ainsi le scandale. Mais la facture parvient
au leader de l’opposition qui n’hésite pas à l’utiliser lors d’un débat
télévisé pour discréditer son adversaire. Dans leur grande sagesse, les
électeurs condamneront de telles pratiques, et renverront dos à dos les deux
hommes, pour porter au pouvoir la centriste[38]. L’ambition
des premiers ministrables est également illustrée à maintes reprises. Dans la
minorité d’abord, l’ancien Premier ministre cherche à retrouver sa place en
feignant un accord avec son successeur quant au retrait des troupes danoises d’Afghanistan[39]. Au
sein même de la coalition gouvernementale ensuite, où se manifeste une
opposition interne au Cabinet. Ainsi, le nouveau leader du parti travailliste
peut-il faire entorse à la solidarité gouvernementale, désobéir au Premier
ministre, et finalement lui avouer qu’il souhaite le remplacer dès à présent[40].
Les parlementaires qui refusent le dialogue et s’opposent
à l’Exécutif sont donc toujours placés dans une situation d’infériorité morale
vis-à-vis de ce dernier, justifiant le recours à des armes politiques plus
lourdes pour surmonter ces oppositions.
B. L’infériorité tactique des oppositions parlementaires
Lorsque l’opposition tombe dans ces travers, elle est
sanctionnée par le pouvoir exécutif qui triomphe de son ennemi, pourtant plus
puissant et moins respectueux de la morale, grâce à son instinct politique et son talent tactique. La
Maison-Blanche, surmonte les coups bas grâce à sa connaissance des rouages de
la procédure parlementaire (i) tandis que dans Borgen, c’est la maitrise du temps parlementaire et politique qui
constitue le moyen privilégié face à l’opposition (ii).
i. A la Maison Blanche : la maitrise de la procédure parlementaire
L’intelligence tactique du staff présidentiel lui
permet de sortir vainqueur des conflits qu’il entretient avec l’opposition. Il
n’hésite pas à recourir à la ruse en exhumant une loi sur le patrimoine qui
permet au Président de créer un parc national, et ainsi faire obstacle à un
amendement visant à autoriser des exploitations minières[41]. Il
recourt au même moyen sur le terrain de la procédure parlementaire. Le
Président républicain de la chambre ayant constaté que son camp était
minoritaire pour un vote sur les cellules souches, il le reporte en espérant
que les représentants démocrates rentreront dans leurs circonscriptions en
cette période de campagne électorale. Mais ceux-ci vont feindre de quitter
Washington et, avec la complicité de la Maison-Blanche, se cacher dans le
bureau du Vice-Président au Congrès pour réapparaitre à l’annonce du scrutin[42]. Cet
épisode a d’ailleurs trouvé un écho dans la réalité, inspirant une manœuvre à l’opposition
britannique. En mai 2006, Le Premier ministre Blair
dépose un projet de loi visant à criminaliser l’incitation à la haine
religieuse. L’opposition y voit une atteinte à la liberté d’expression. S’inspirant
de l’épisode, les conservateurs parviennent à faire rejeter ce texte, la
manœuvre restera comme « The West
Wing Plot »[43]. L’Aile
ouest peut aussi recourir à l’obstruction
si nécessaire. Le staff présidentiel souffle alors aux représentants démocrates
des moyens pour gagner du temps afin de rallier des parlementaires à sa cause
et éviter que le véto présidentiel ne soit surmonté (sortir une banderole dans
l’assemblée, demander le vote du calendrier qui oblige la chambre à approuver
les travaux de la veille, déposer massivement des amendements…)[44]. Il peut aussi aider un sénateur dans
son entreprise de filibustering, en
trouvant une astuce réglementaire pour lui permettre de se reposer[45].
ii. A Christiansborg : la maitrise du temps parlementaire
Le Premier ministre danois parvient, par son sens
politique, à influencer le Parlement, l’opinion, et en conséquence à
contrecarrer l’opposition. Elle use,
au moment le plus opportun, des divers outils à sa disposition. Ainsi lorsque l’opposition
suggère au Parlement d’adopter une proposition de résolution visant à obliger
le Gouvernement minoritaire à légiférer pour abaisser la majorité pénale à 12
ans. Le Premier ministre parvient à y faire échec en proposant la création d’une
commission parlementaire paritaire (composé d’experts et de représentants des
différents partis) pour réfléchir à cette question. La création de cette
commission « Théodule » sera finalement adoptée à une voix de
majorité[46].
L’opportunité de procéder à la dissolution du Folketing témoigne également de la maitrise exécutive du temps
parlementaire. Alors que le Premier ministre a longtemps résisté aux
injonctions de l’opposition qui le presse d’organiser des élections anticipées,
il y consent, mais au moment le plus opportun, après le vote du dernier volet
de son ensemble législatif « avenir commun ». Il coupe alors l’herbe
sous le pied de l’opposition qui reconnait l’habileté de la démarche au sein
même de l’hémicycle[47]. Les
manœuvres de l’opposition sont donc anticipées et déjouées, ce qui permet au
Premier ministre de se maintenir au Pouvoir, ou de se présenter devant les
électeurs dans une situation favorable.
Finalement, les représentations de l’opposition
développées dans ces deux œuvres sont assez similaires, sans que l’on puisse
véritablement déterminer ce qui relève des régimes représentés et ce qui relève
des contraintes de production pesant sur ces séries. Si elles prétendent
dévoiler une réalité complexe, elles ne peuvent toutefois s’affranchir d’une
forme de simplification préjudiciable au Parlement. La préférence pour une
opposition consensuelle, qui s’explique sans doute par la nécessité de réunir
le plus grand nombre possible de téléspectateurs par-delà leurs préférences
politiques particulières, si elle semble à priori louable, peut finalement
s’avérer préjudiciable. Elle conduit en effet à présenter la décision politique
idéale comme relevant des juristes et communicants de l’équipe exécutive, au
terme d’un processus rapide et respectueux des minorités plutôt que le produit
d’une délibération parlementaire longue, obscure, et rendue responsable de la
fracture entre gouvernants et gouvernés. Le traitement réservé à l’opposition par
ces séries politique dévoile alors des relents d’antiparlementarisme.
[1] D’après le secrétaire général fictif de la
Maison-Blanche, Leo MacGarry :
The West Wing (désormais : TWW)
/ Saison 1, Episode 4 (désormais : S1E4) : Cinq voix de moins (Five votes down).
[2]The West Wing
(A la Maison-Blanche), créée par Aaron
Sorkin, compte 155 épisodes et fut
diffusé entre 1999 et 2006 aux Etats-Unis. L’aile ouest de la Maison-Blanche,
qui donne son nom à la série, abrite l’équipe présidentielle.
[3]Borgen est
une série danoise produite par Adam Price
et diffusée depuis 2010 sur DR1. Elle compte 20 épisodes avant la
troisième saison. Borgen qui signifie
« Le château » est le surnom donné au Palais de Christiansborg qui abrite les institutions politiques danoises.
[4] Voir par exemple : Jan Pascal,« Les oppositions » in Pouvoirs, L’opposition, n°108, Janvier
2004, p. 26 : « La contribution
des lectures produites par la doctrine juridique est décevante »; ou
encore Ponthoreau Marie-Claire,
« L’opposition comme garantie constitutionnelle » in Rdp
n°4, 2002, p. 1128 : « L’opposition
a été mise de côté par la doctrine constitutionnelle française car elle a
repris à son compte l’objectif que s’étaient fixé les constituants de
1958 : La stabilité institutionnelle ».
[5] Pimentel Carlos-Miguel,
« L’opposition ou le procès symbolique du pouvoir » in Pouvoirs, L’opposition, n°108, Janvier
2004, p. 45.
[6] Jan
Pascal, « Les oppositions », op.
cit., p. 24.
[8] Pimentel Carlos-Miguel, « L’opposition ou le procès
symbolique du pouvoir », op. cit.,
p. 48-49.
[9] Gilles
William, « L’opposition parlementaire : étude de droit comparé »
in Rdp,
2006, n°5, p. 1347-1386.
[10] Cette idée doit toutefois être relativisée. Le Congrès
connait en effet depuis plusieurs années, un fort mouvement de polarisation
partisane. Voir Maugin-Helgeson Murielle,
« L’adoption de la loi relative à la réforme de la santé par le Congrès
américain. Décryptage d’une bataille politique et procédurale » in RFDC n°91, 2012/3, p. 641-662.
[11]The West Wing
réunissait entre 10 et 20 millions de téléspectateurs et a reçu un nombre
impressionnant d’Emmy Awards et de Goldenglobe. Borgen, quant à
elle, réunit plus d‘un million de téléspectateurs par semaine dans un pays qui
compte 5,5 millions d’habitants et a déjà reçu de nombreuses distinctions.
[12] Le titre officiel est « Statsminister » ou Ministre d’Etat du Danemark.
[13] Martin Fitzwalter,
attaché de presse du Président Reagan,
et Dee Dee Myers, porte-parole de
l’Administration Clinton furent
consultants pour The West Wing. Cette
dernière a d’ailleurs inspiré le personnage de C.J. Cregg.
[14] TWW / S2E3 : Le Candidat idéal (The Midterms).
[15] TWW / S2E6 : Le Congrès des sortants (The Lame Duck
Congress). Cet épisode rappelle d’ailleurs une lame duck session de 2003 au cours de laquelle les démocrates,
prenant acte de leur défaite promettaient de coopérer avec la majorité
républicaine avant même le renouvellement officiel du Congrès. Voir Lauvaux Phillipe, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, Puf, coll. Droit fondamental, 3ème
édition, 2004, p. 357.
[16] TWW / S1E4 : Cinq
voix de moins (Five votes down).
[18] Le Gouvernement n’a pas à être investi et n’a pas à
s’appuyer sur une majorité explicite à l’Assemblée. Il peut se maintenir à
condition de ne pas faire l’objet d’un vote de défiance. Voir : Waele Jean-Michel (de), Magnette
Paul, Les démocraties européennes : Approche comparée des systèmes politiques
nationaux, Paris, Armand
Colin, 2008, p. 103 et s. Voir également, pour les différentes
acceptions que peut recouvrir la notion de « parlementarisme
négatif » : Le Divellec
Armel, « Le parlementarisme négatif à la française » in Jus politicum n°6, 2011, p. 20. L’auteur
considère d’ailleurs que le système danois ne s’identifie que partiellement au
parlementarisme négatif.
[20] Sur la question spécifique de la parole politique dans
The West Wing, voir : Girard Charles, « « The World
can move or not by changing some words » : La parole politique en
fiction dans The WestWing » in Revue
de recherches en civilisation américaine [en ligne], La culture populaire
américaine, n°2, 2010, mis en ligne le 03 mai 2010, Disponible sur : http://rrca.revues.org/index310.html [consulté le 19 mars 2013].
[21] TWW / S4E6 : Les
jeux sont faits ! (Game on).
[23] TWW / S5E3 : Jefferson est vivant (Jefferson lives). Cette pratique
rappelle le patronage par lequel le Président « s’engage à nommer à des postes vacants les candidats recommandés
par certains membres du Congrès ». Lauvaux
Philipe, Les grandes démocraties
contemporaines, op. cit. ; p.
374.
[24] TWW / S2E4 : Une
républicaine chez les démocrates (in this White House) et TWW /
S6E16 : Sécheresse (Drought
conditions).
[25] TWW / S4E23 : Le 25ème amendement (Twenty-five).
[26] D’ailleurs, le site internet officiel du Danemark
considère que son système institutionnel se caractérise par « la recherche d’un consensus par-delà
toutes les divergences politiques » et insiste sur la « culture du consensus ».Disponible
sur : http://denmark.dk/fr/societe/gouvernement-systeme-politique [Consulté le 19 mars 2013].
[27] B / S1E10 : Premier
mardi d’octobre (Første tirsdag i oktober). Le Premier Mardi
d’octobre est le jour d’ouverture de la session parlementaire et débute
traditionnellement par un discours du Premier ministre sur la situation
générale du Danemark et les plans du Gouvernement pour l’année à venir.
[28] B / S2E3 : Le
dernier prolétaire (Den sidste arbejder).
[29] B / S1E10 : Premier mardi d’octobre (Første tirsdag i oktober).
[32] TWW / S3E22 : Assassinat
politique (Posse Comitatus).
[33] Voir : Lauvaux
Philipe, Les grandes démocraties…,
op. cit., p. 372-373 : « On dit du lobby présidentiel qu’il est le
plus puissant de ceux qui existent à Washington ».
[37] Voir : Meny
Yves, Politique comparée,
Montchrestien, coll. Domat politique, 8ème éd., 2009, p. 239-241.
L’auteur indique que le Congressman
efficace est celui qui « brings home
the bacon » et agit pour sa propre circonscription.
[38] B / S1E1 : La
dignité du centre (Dyden i midten).
[45] TWW / S2E17 : Obstruction
parlementaire (The Stackhouse filibuster). Lauvaux
Philipe, Les grandes démocraties
contemporaines, Paris, Puf,
coll. Droit fondamental, 3ème édition, 2004, p. 298 : « La technique dite du filibustering permet
d’empécher la mise aux voix d’un projet de loi ou le vote de crédits aussi
longtemps qu’un sénateur exerce son droit à la parole. Cette pratique,
lorsqu’elle est organisée par une équipe de sénateurs, peut retarder un vote
très longtemps et permet ainsi d’obtenir le retrait d’un projet ».
[46] B / S2E6 : Eux
et nous (Dem & Os). Les
propositions de résolutions émanent le plus souvent de l’opposition et visent à
forcer le Gouvernement à prendre en considération une question et à prendre des
mesures pour la traiter. Elles ne font l’objet que de deux lectures au Folketing au lieu de trois pour les
propositions de loi.
[47] B / S2E10 : Une
communication de nature particulière (En
bemærkning af særlig karakter).
Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).
Si pour Proudhon
l’atelier devait remplacer le gouvernement, pour le Collectif L’Unité du Droit
l’atelier, lieu d’échange(s) et de travaux, est la première structure de l’association.
Cette dernière a en effet deux objets : d’abord, il s’agit de permettre et
de provoquer l’association d’universitaires et de praticiens persuadés d’une
nécessaire collaboration des juristes de droits public et privé (par-delà les
frontières académiques) ; objectif qui se matérialise notamment par la
publication de manuels, d’essais ou l’organisation de manifestations (notamment
des colloques) visant à promouvoir l’Unité du / des Droit(s). En outre, les
membres du Collectif sont des hommes et des femmes déterminés à faire
progresser le système contemporain d’enseignements du Droit. Ces deux objectifs
sont déclinés sous forme d’ateliers
thématiques. L’activité de recherche de l’association est ainsi déclinée en
différents groupes (ou ateliers) ayant des thématiques qui concernent tant les
publicistes que les privatistes : droits des travailleurs (publics et
privés), enseignement(s) du Droit (Université), libertés fondamentales,
droit(s) de l’environnement, droit(s) du football, Laboratoire Méditerranéen de
Droit Public, 24 heures du Droit, Editions L’Epitoge, etc. Logiquement (selon son objet social même), le Clud possède deux ateliers principaux et
permanents : Université(s) (enseignement(s) du Droit) & Droit des
travailleurs (MS / Mtd).
Butinage(s) juridique(s)
L’un des objectifs du Collectif est de provoquer les rencontres entre spécialistes des
différentes branches du Droit, par-delà les frontières académiques et
intra-académiques même, pour susciter des recherches nouvelles et stimuler les
analyses et prospectives des uns et des autres. A cette occasion, le cludien / la cludienne a l’occasion de butiner d’une étude de spécialiste(s) à
une autre avec des thèmes ou des notions et concepts en partage(s). Ces
rencontres font alors la sève de la recherche cludienne. Le butinage juridique nous nourrit en effet tous et
permet l’enrichissement de chacun(e) par un va-et-vient permanent des
spécialistes sollicités.
Le Collectif
fuit en ce sens le dogme et réaffirme son Droit à l’échange perpétuel et
renouvelé. Ainsi, le Clud est-il
également persuadé que le métissage juridique est nécessaire. Pour ce faire, l’association
ne se veut pas réservée à une parole sublimée et supposée évangélique ou
mandarinale et acquise à des universitaires titulaires et agrégés des Facultés
de Droit. Initialement fondée par un doctorant convaincu du service public de l’enseignement
et de la recherche prêt à s’y investir, l’association reflète encore, y compris
dans ses statuts, un dialogue permanent entre l’ensemble des acteurs
volontaires de la communauté juridique (universitaire et praticienne). A cette
fin, la Présidence du Collectif est-elle
multiple et tend-elle à représenter non seulement la summa divisio public / privé mais encore l’intégration au processus
de décision d’une Présidence « étudiante » précisément réservée aux
usagers du service public concerné (MS / Mtd).
Colloques / conférences
Les colloques et conférences sont au Collectif l’Unité
du Droit ce que le ballon est au foot ou le squelette au cadavre… Le « parler
ensemble » et la discussion n’y sont pas de vains mots. Elle en constitue
la substantifique moelle. Plus encore qu’un simple échange, les colloques et
conférences sont un espace de liberté(s) où chacun doit se sentir libre de
parler sans entrave, par-delà les frontières souvent trop rigides érigées entre
les champs disciplinaires. On y parle de droit privé, de droit public, d’histoire
du droit, bien sûr mais surtout on y parle de vie.
Les « 24 heures du droit » ont ainsi depuis
2011 pu mettre en avant le Droit dans les séries télévisées, le parlement aux
écrans, le(s) droit du football… Les conférences Levasseur ont pu abolir les esclavages avec Mme la Garde des
Sceaux ou encore être le témoin bavard des Révolutions Arabes. Des sujets
parfois arides se sont en définitive avérés très fertiles. Les débats autour de
la mort ont été des plus vivants. Ceux consacrés à la dissimulation du visage
ont fait tomber les masques…Nul doute que les échanges à venir sur les
chansons et costumes à la mode juridique se feront à l’unisson ! (Mbb).
Dix ans !
L’année 2014 fut un cru exceptionnel pour le Clud. Le 12 mars, en guise d’apéritif,
il s’est offert le Conseil d’Etat pour accueillir la conférence Maurice Hauriou, avant de fêter son anniversaire
le lendemain, dans les arcanes de la capitale. Le mois suivant, il organisait
les désormais traditionnelles et célébrissimes « 24 Heures du Droit »,
leur conférant cette année une dimension encore plus magiques dans l’écrin du
stade manceau MMArena. Et le
millésime décennal ne saurait manquer de longueur, puisqu’il conviait la garde
des sceaux Christiane Taubira à l’occasion
de la conférence Levasseur sur les
abolitions des esclavages. Au mois de mai, il se plaisait à abreuver ses jeunes
lecteurs de savoir avec la sortie de la seconde édition du best–seller « Initiation
au droit » (dont les droits d’adaptation cinématographique auraient été
rachetés par Steven Spielberg !),
avant de tenir son université d’été en pays sarthois. L’automne bien entamé, il
marquait l’après Toussaint d’un colloque… mortel célébrant la sortie du Traité des nouveaux droits de la mort.
Et comme le Clud
est touche à tout, il vous prépare même un best-of,
comme un coquetel de ses plus belles réalisations ! (TC).
Etudiant(e)
1. « Etudiante »,
n.f. : le plus souvent ; « Etudiant », n.m. : de moins
en moins ; « Etudiant(e)s », pl. : mode de déplacement
préféré. Objet principal de l’attention des membres du Clud et, par extension, des enseignants-chercheurs des
Facultés de droit. Ex. : les « 24h du Droit » « combinent trois moments-clefs distincts et
réalisés en priorité par et pour les étudiants juristes » (extrait de
la présentation desdites « 24h du Droit », www.unitédudroit.org, onglet Colloques,
point 2).
2. Adj. : qualité que trop peu d’étudiant(e)s – au sens premier –
arrivent à atteindre au cours de l’année universitaire. Par extension, attitude
espérée et encouragée par les enseignants-chercheurs, en début de chaque année.
Et souvent démentie durant la période de correction des partiels…
3. Adj. : qualité que recherchent les membres du Clud, à l’invitation de leur cher(s) Président(s).
Ex. : « mes cher(e)s ami(e)s, soyons étudiant(e)s ! »
(propos rapportés du pr. Mtd,
tenus au balcon de l’hôtel de ville du Mans à une date inconnue) (SB).
Faculté de Droit
What’s the Fac ?
La Faculté de Droit est l’ancienne dénomination des nos actuelles Unités de
Formation et de Recherche (UFR) de Droit et de science(s) juridique(s).
Toutefois, l’usage a perduré, comme parfois en Droit,
et l’on parle encore, dans les Universités de « Facultés de Droit et de
leurs doyens » (à l’instar des doyens Brameret,
Foucart et Bricou) plutôt que d’UFR et de leurs directeurs.
La Fac’ de Droit (ainsi plus communément appelée par
ses pratiquants) constitue le lieu de vie(s) et d’étude(s) du Collectif L’Unité
du Droit qui espère contribuer non seulement à sa bonne santé mais surtout au
perfectionnement de son système d’enseignement.
A la Fac, on apprend le Droit, on le pratique et l’on y
reçoit une attestation (un diplôme) reconnaissant ses aptitudes arrachées sinon
triomphées des examens. A la Fac se côtoient personnels administratifs, enseignants-chercheurs
et étudiants et le Collectif, partant
de ce constat simple, affirme – depuis sa création – que ces trois communautés
doivent, outre leur cohabitation, échanger et avancer ensemble et non de
manières confrontées. La Fac’ de Droit ne doit effectivement pas être qu’un
lieu de passage, elle est une étape et parfois une transformation dans la vie
des citoyens juristes et elle se doit de s’ouvrir aux citoyens non inscrits à l’Université.
La Faculté de Droit n’est donc pas qu’un bâtiment austère et le Collectif essaie, par ses membres, d’en
vivifier et parfois d’en bouger un peu les murs. Par ses manifestations
(colloques, publications, ateliers, journées d’études, ouvrages, etc.), le Clud met ainsi ses moyens au profit du service public de l’enseignement
supérieur et de la recherche et de sa promotion. Il se bat pour lui et pour son
amélioration. Il recherche constamment (critique et propose) tout ce qui
pourrait être fait pour que le système d’enseignement du Droit se perfectionne
et ce, au profit de tous les membres de la communauté universitaire
(enseignants-chercheurs, usagers et personnels administratifs).
L’association est ainsi profondément attachée et
attentive à l’enseignement juridique au sein des Facultés devenues UFR de Droit
et elle a décidé de faire sienne la maxime d’Edouard de Laboulaye selon
laquelle : « le professeur est fait
pour l’étudiant et non l’étudiant pour le professeur » (Mtd).
Goodies
1.Qu’est-ce qu’un goody et dans quels cas
est-il distribué ? Le goody
est soit un produit dérivé de film ou de séries télévisées, soit un cadeau
destiné à promouvoir une marque, un label ou une société savante telle que le Clud. Parapluies, mugs, clefs USB,
stylos, sacs, ballons et bientôt sans doute chargeurs mobiles de téléphones
portables : ces cadeaux sont distribués à l’occasion de manifestations
scientifiques ou envoyés pour séduire d’éventuels futurs membres de la
communauté scientifique.
2.Comment utiliser le goody ? Le goody est destiné à être utilisé au quotidien (pour boire son café, aller faire ses courses ou aller faire cours) pour promouvoir le rayonnement du Clud grâce au logo de cette société savante apposé sur le goody.
3.Quels sont les effets indésirables éventuels ? Les goodies peuvent provoquer une tendance (aigüe) au « collectionnisme ». En cas d’aggravation des symptômes, consultez votre médecin (addictologue). Par ailleurs, il est recommandé de ne pas utiliser les goodies du Clud avec des goodies distribués par d’autres sociétés savantes ou institutions universitaires, les effets actifs des premiers risquant de limiter ceux des seconds.
4.Mise en garde supplémentaire. Il convient d’être particulièrement vigilant face aux imitations et produits génériques en circulation sur le marché. Ceux-ci peuvent provoquer une aggravation des effets indésirables ci-dessus évoqués (HH).
Histoire(s)
Multiple, comme l’indique le (s) cludien de l’occurrence, l’Histoire ose encore s’immiscer aujourd’hui
dans les facultés de droit par le truchement de ses divers avatars juridiques :
histoire des institutions, histoire du droit privé, histoire du droit public,
droit romain…. L’Histoire du droit est donc doublement maltraitée entre les
murs desdites facultés. Elle est tout d’abord perçue comme une matière
supplétive, ornementale (si, si, vous savez bien, le truc qui sert à meubler
les introductions…) et il est déconseillé aux vrais juristes de s’y égarer aux
dépens des matières nobles.
Mais surtout, comble de l’outrage cludien, on s’entête à morceler l’Histoire juridique avec la même
compartimentation que celle ayant cours dans le droit positif. Avoir soutenu
une thèse sur un sujet d’histoire du droit privé d’Ancien Régime par exemple
vous disqualifie encore, d’emblée, pour étudier une coutume médiévale ou une
question contemporaine d’ordre constitutionnel. Appliquée à l’Histoire, la
conception de l’Unité du droit aboutit pourtant à cette surprenante conclusion
qu’il est possible d’être à la fois juriste et historien, et de s’intéresser à
l’ensemble des sujets présents et passés, sans que le ciel nous tombe sur la
tête… (FD).
Initiation (au Droit)
« Nous entrons
dans l’avenir à reculons ». C’est pour conjurer cette malédiction de Paul Valery (Variété) que M. le Professeur Touzeil-Divina a orchestré la naissance de « l’introduction encyclopédique aux études et
métiers juridiques » (Paris, Lextenso ; 2011 et 2014). De prime abord,
les notions juridiques peuvent paraître tout à la fois obscures et
inintéressantes. Une première immersion est alors nécessaire. L’initiation au droit, rédigé par de
nombreux contributeurs s’efforce d’atteindre un tel objectif. La 2ème
édition de 2014, préfacée par Monsieur Jean-Louis Debré, Président du Conseil constitutionnel, est une
première visite du terrain juridique.
L’ouvrage se subdivise en trois parties distinctes. Les
matières matricielles et dérivées, les disciplines unité du droit et le
glossaire des études et des métiers du droit.
La première partie explore des domaines formant les
piliers même du droit comme le droit administratif, le droit européen, le droit
constitutionnel, l’histoire du droit… La deuxième partie permet de d’observer
des disciplines juridiques exotiques en mouvement au-delà des divisions
classiques. La dernière partie oriente l’intérêt vers les professions rendues
accessibles par le droit. Les auteurs de cet ouvrage montrent que le droit
repose sur des très larges concepts qui ne cessent de se mouvoir et d’évoluer
de telle manière que certaines matières sortent des formes juridiques usuelles
pour donner naissance à de nouvelles branches. Le Droit devient ainsi un
organisme vivant qui ne cesse de se transformer pour tendre vers une structure
d’équilibre ; y parviendra-t-il ? (MG).
Justice
La Justice, au sens cludien
du terme, ne peut se conjuguer qu’au singulier, principe de parallélisme des
formes oblige : l’unité de la Justice répond à l’unité du Droit. Malgré la
pluralité des juges – constitutionnel, communautaire, européen, administratif
et judiciaire –, le dualisme des ordres juridictionnels et la diversité des
régimes juridiques applicables, le « dialogue des juges » – si cher aux membres
du Clud – permet une convergence
de jurisprudences dans des domaines aussi variés que les libertés fondamentales
ou le droit du travail / droit de la fonction publique. L’Unité de la Justice
reste ainsi préservée. La Justice demeure, toutefois, avant tout une vertu et
un dessein à atteindre. Elle ne peut se fonder uniquement sur des sources
juridiques formelles et ne se réalise véritablement qu’avec l’imagination. La
Justice ne doit pas être seulement la justice rendue par le Droit mais aussi et
surtout la Justice rendue et vue par les hommes. N’est-ce pas justement cette
imagination que développe le Clud
avec l’analyse des rapports entre l’opéra (ouvrage Droit & Opéra), le cinéma (rencontre du Clud avec le cinéaste Costa-Gavras),
les médias (rencontre avec les journalistes de Public Sénat) et la littérature avec le Droit ? Sans
imagination du Droit, sans imaginaire du juge, la justice ne serait rendue qu’en
pointillés – mais ce ne serait point la Justice (GP).
Kakémono
Le kakemono ou kakémono est originellement une
calligraphie accrochée ou suspendue à un mur. Il est par suite devenu un
support publicitaire – pour les entreprises – ou de communication – pour les
associations comme le Clud. Par
extension, il désigne donc désormais tout panneau en général étroit, suspendu
ou autoporté voire déroulable. Ce support a alors le grand avantage d’être
maniable et de pouvoir véhiculer, en tous lieux, des éléments de communication
comme le fameux logo du Clud ou la
silhouette, désormais célèbre grâce à un kakémono dressé devant les
conférenciers, de René Levasseur lors
de toutes les conférences éponymes. En outre, la finition du kakémono permet de
créer des effets d’optique qui permettent de le voir distinctement de prêt ou
même de loin. Ainsi, pour le colloque de restitution du Traité des droits de la mort, on pouvait voir un kakémono composé
de sépultures, elles mêmes composant une seule grande tombe. Au même titre que’avec
leurs célèbres goodies, le Clud a toujours voulu (par le biais de
leur(s) site(s) Internet également) communiquer et partager : leurs kakémonos
en ont été de fiers représentants : présents à chaque importante
manifestation du Collectif, ils en
rythment la vie et offrent – sur les photographies – un sentiment de continuité
(FC).
L’Epitoge
Rouge, vert,
noir, violet. Une association de couleurs qui ferait hurler Cristina C.
Elle est néanmoins le témoin de ce qu’en dix années, le Collectif L’Unité du
Droit a beaucoup grandi. Il fallait en effet pas moins de quatre couleurs pour
identifier les quatre collections regroupées par les éditions propres au
Collectif : « Unité du Droit », « Revue Méditerranéenne de
Droit Public », « Histoire(s) du Droit »,
« Académique ». La vingtaine d’ouvrages publiés par les Editions L’Epitoge,
depuis leur création en 2012 en partenariat avec les Editions Lextenso, atteste
de la richesse des membres du Collectif.
De l’ouvrage Droits du travail et des fonctions publiques : Unité(s) du
Droit au Traité des nouveaux droits de la Mort, la « voix
officielle » du Clud résonne
en transcendant les frontières académiques. Le catalogue, déjà bien nourri, a
évidemment vocation à s’agrandir. Alors à vos plumes ! (BR).
Méditerranée(s)
La Méditerranée est, d’abord, une mer – ou plutôt la « mer au milieu des terres » (« mare medi terra ») – située entre l’Europe,
l’Afrique et l’Asie. Elle est, ensuite, un espace d’échanges économiques et
surtout culturels ayant marqué la physionomie de la civilisation occidentale.
Pour les objectifs du Clud, la
Méditerranée est, surtout, un espace pertinent pour faire du droit public
comparé au sein de l’atelier indépendant « Laboratoire Méditerranéen de
Droit Public » (Lm-Dp). Créé en 2012 et basé sur un noyau
dur de six pays désormais (France, Espagne, Grèce, Italie, Maroc, Tunisie), le Lm-Dp
a en effet vocation à embrasser du bassin méditerranéen comme en témoigne son
expansion récente en Grèce. Son objectif est de « comparer les comparaisons » afin de dresser, dans un premier temps,
un état des lieux des droits publics autour de la Méditerranée et de proposer,
à terme, le premier Traité méditerranéen
de droit public. Ses premières réalisations en termes de colloques
scientifiques (« Constitution(s) et Printemps arabe(s) » (2011), « Droits des
femmes & révolutions arabes (2012), « Justice(s) constitutionnelle(s)
en Méditerranée » (2015)) et de publications (« Eléments bibliographiques
de droit public Méditerranéen » (2013) et colloque (précité) sur les droits des
femmes (2013)) ainsi que ses projets courant 2015-2016 (« Influences et
Confluences constitutionnelles en Méditerranée », colloque sur le sujet :
« Existe-t-il un droit public méditerranéen ? L’exemple des droits
fondamentaux ») ne sont que le début d’un beau voyage (CV).
Novation
Elle pourrait être le leitmotiv de la cludienne
et du cludien. Certain(e)s
investissent des champs de recherches audacieux : de l’opéra aux séries télévisées, on s’empare autant de la
crème des bien-pensants que des paroxysmes de la bêtise. Sans complexe(s). D’autres
innovent sur des terrains empestant la naphtaline – le Traité des nouveaux droits de la mort – jusqu’à oser dépoussiérer Duguit
et Hauriou,
ceux dont on pensait n’avoir plus rien à apprendre. Et pourtant ! La
novation n’est pas que re-naissance, elle est aussi naissance. Le droit du football peut alors naitre,
paraitre aussi, aux éditions l’Epitoge bien entendu. Qu’à cela ne tienne, les
juristes aussi sont des supporters. D’autres préféreront supporter les droits
des femmes, à bout de bras et difficilement tant le terrain est miné –
révolution arabe oblige : terrain maintes fois exploré mais jamais
essoufflé. Heureusement d’ailleurs. Certains s’arrogent même le droit d’étudier
des objets non identifiés ou du moins dématérialisés – la communication électronique pour ne pas la citer – d’autres
déterritorialisés – brandissant un droit
à l’évasion … circulaire… Au demeurant, qu’il soit fragmenté ou unifié,
le droit est partout.
C’est bien de cela dont il s’agit au sein du Collectif
de l’Unité du droit : des membres unis – sans unanimisme non plus – autour
d’une expression libérée du droit, des droits, sur le droit… Bref, un collectif dans l’air du temps ! Et
si d’aucuns y perçoivent de la novlangue, alors, elle n’est au Clud qu’un moyen de briser les limites
de la pensée – juridique du moins (SA).
Objet social
Contrairement à ce que d’aucuns pourraient dire, l’objet
du Clud n’est pas d’organiser des
coquetels ou des réceptions annuelles au Conseil d’Etat ou au Conseil
constitutionnel (voire à la Cour de cassation ?). L’association vise plus
modestement à réunir des juristes, universitaires ou non, spécialisés en droit
public ou en droit privé (ou en histoire, etc.)
afin d’échanger et de travailler ensemble. Au-delà de la partition
juridictionnelle et de la scission académique, le Clud vise à susciter les recherches et les réflexions sur ce
qui fait l’unité de ses travaux. L’association connaît un second axe, tourné
spécifiquement vers l’université : réfléchir sur de nouvelles manières d’enseigner
le Droit, élaborer de nouvelles méthodes pédagogiques et de nouveaux exercices
plus didactiques. Le Clud vise
également à ouvrir l’université à la société en suscitant des débats au-delà du
seul public estudiantin (MS).
Pinardière
« Maison de charme du XIXe avec
poutres apparentes et cheminées anciennes, située dans un cadre verdoyant et
reposant, au coeur de la campagne sarthoise ». Au départ, La
Pinardière c’est ce gîte locatif avec piscine situé sur la petite – toute
petite – commune d’Amné, qui a emporté nos suffrages pour recevoir la 1ère
« Université d’été du Clud ».
Trois jours et trois nuits d’un mois de juillet 2014
ont alors fait de La Pinardière – et de l’Université d’été dont elle n’est
finalement que la matérialisation – une nouvelle institution cludienne. Si le succès de toute
Université d’été dépend bien de la capacité des organisateurs à proposer le
cadre accueillant et convivial – à l’image du temps estival – qui suscitera les
réflexions et discussions des conviés, alors pour cette 1ère
édition, le pari semble gagné. L’Université d’été du Clud a rassemblé de nombreux militants de l’Unité du Droit,
juristes et amis de juristes qui, toutes générations confondues, sont
convaincus de la nécessité de (re)créer du lien entre les acteurs et entre les
branches du Droit. Au fil d’assemblées, d’ateliers de travail et de
pique-niques champêtres, tous ont pris plaisir à partager expériences et
opinions, et à revenir ensemble sur dix années de constructions. Les conseils,
les photos et les oliviers se maintiendront bien après juillet, et
questionneront dès la rentrée : même loin de la Pinardière, comme
nouvelle(s) occasion(s) de butinage(s) juridique(s), le Clud pourra-t-il se passer demain d’Université(s) d’été ?
(ME).
Quizz juridique
Il existe des jeux et des quizz juridiques destinés à
faire réviser le Droit de façon ludique aux étudiants depuis que le Clud a été créé et ce, en 2004. Dès
cette époque, à Poitiers puis à Nanterre, à Paris II et enfin au Mans, sous la
houlette des présidents Touzeil-Divina & Sweeney, le Clud
a cherché à donner vie à l’idée d’Unité du Droit. Telle est également l’ambition
– toujours satisfaite – du Jeu de l’Unité du Droit autrement qualifié (aux
« 24 heures du Droit » désormais chaque année) du jeu « Qui veux gagner des Foucart ? ». C’est ainsi que nous pouvons retrouver
des quizz juridiques inspirés de jeux de plateau et télévisés, pour l’occasion
revisités, tels que les désormais célèbres « Juridical Pursuit », « Mimes-Kelsen », « Le juriste faible », « Qui
veut gagner des Duguit ? »
et le redoutable « Question pour un
juriste ». En 2015, en écho fidèle à la thématique annuelle, cet ordre
viendra compléter cette fresque : « N’oubliez
pas les paroles juridiques » !
Cet étonnant tableau personnifie remarquablement l’Unité
du droit dans une triple dimension. Dimension scientifique d’abord, en ce qu’aucune
branche du droit ne sera épargnée aux candidats : droit public et privé,
international et interne, positif et historique ; le tout complété par des
éléments de culture(s) générale, linguistique et même humoristique. Dimension
humaine ensuite, alors que le jeu réunit des étudiants de tout niveau (de la
première année de Licence au Doctorat) qui seront jugés par des
enseignants-chercheurs parés de leurs atours académiques. Dimension
géographique enfin, dans la mesure où cet événement à la fois ludique et savant
réunit dans le lieu – quel autre ? – du savoir qu’est l’Université des
équipes de toutes la France depuis la deuxième édition. Du local au national,
un jour – rêvons-en – du national au global ? (MM).
Recour(s) contentieux
Recours
contentieux … l’article aurait tout aussi bien pu avoir pour entrée «
action militante ». L’unité du droit n’est pas simplement celle du droit public
et du droit privé que les membres du Clud
contemplent et promeuvent. Pour certains d’entre eux, l’unité du droit se situe
dans l’affirmation du droit comme fait social. Il arrive en effet que le droit
saisisse le juriste, en tant que travailleur et en tant que citoyen. En retour,
le juriste se saisit aussi de lui.
Il ne s’agit plus alors d’un objet de savoir, ni non
plus d’un outil de travail, mais un moyen d’action.
Le Clud a
su s’engager et se lancer dans l’arène contentieuse. Il a milité contre la
réforme Lru et, doit-on s’en
étonner, une de ses armes fut le droit. Le recours contre le décret instituant
un nouveau contrat doctoral a certes été rejeté par le Conseil d’Etat, mais ce
dernier n’en a pas moins décidé d’appliquer, pour la première fois, les
conventions Oit aux agents
publics. Ainsi l’unité du droit se voit-elle réalisée par le droit lui-même ?
Les recours contentieux auxquels a participé le Clud
montrent aussi que l’unité du droit n’est pas une fin en soi. Ce qu’il faut
retenir, c’est bien plus l’unité des droits sociaux fondamentaux, et ce qu’il
faut viser, c’est l’égalité des travailleurs, qu’ils soient salariés ou agents
publics, voire, si l’on se laisse un peu à rêver, une plus grande solidarité
entre eux (JD).
« S » cludien
Le « S » cludien
ou S entre parenthèses ( « (s) » ) est une technique rédactionnelle très prisée
des cludistes alors même qu’il fait l’objet
de vives critiques de linguistes intransigeants lui reprochant d’alourdir la
phrase dans laquelle il s’insère, de ralentir la lecture et d’obscurcir le
message.
Nonobstant, le « S » cludien présente l’immense avantage de laisser ouverte la question
de l’unité ou de la pluralité d’une notion, d’un régime juridique, d’une
branche du Droit ou du Droit dans son ensemble. Une telle problématique peut
donc être suggérée à travers le titre d’une manifestation scientifique ou d’un
ouvrage, sans avoir à préjuger de la réponse à y apporter. Le « S » cludien élargit donc le champ des
possibles. On parlera ainsi au Clud
« de(s) unité(s) du (des) Droits », « d’université(s) », « d’histoire(s) »
ou encore « de(s) droit(s) du travail ou du football ».
Cependant, le « S » cludien
n’est pas toujours disponible et se heurte, à l’occasion, au pluriel
irrégulier, alors honni par le cludiste.
Exemple : Ne dites pas « Cette
définition était aisée à rédiger » mais plutôt « J’ai écrit cette définition le(s) doigt(s) dans le Clud » (AG).
Travailleur(s) / travailleuse(s)
L’un des axes premiers d’études du Clud a été (et est encore) la congruence
ou la confluence entre les droits du travail et celui des fonctions publiques.
Sur le fond, de plus en plus de règles sont en effet communes aux salariés,
travailleurs de droit dit commun et aux agents des fonctions publiques. Il
apparaît nettement que les deux corps de règles s’influencent et se stimulent
réciproquement.
On notera cependant que l’expression de « droit des travailleurs » ici prônée
pour traiter de toutes les relations de travail (de droit privé comme de droit
public) est encore rarement utilisée en doctrine. Le droit du travail
applicable aux salariés de droit privé et le droit des fonctions publiques
auquel sont soumis les fonctionnaires et autres agents ont en commun d’encadrer
une relation de pouvoir. Ils sont assujettis à un lien de subordination qui
suppose le respect du pouvoir hiérarchique et du pouvoir de direction. En
outre, l’employeur, privé comme public, exerce un pouvoir de contrôle sur la
prestation de travail et peut, le cas échéant, sanctionner le travailleur
fautif. La subordination permet à l’employeur d’assurer la direction du travail
et de coordonner les travailleurs entre eux afin de permettre la réalisation de
la finalité de l’organisation : assurer un service public aux usagers,
produire un bien, fournir un service, etc.
Réciproquement, le droit des travailleurs vise à encadrer l’exercice du pouvoir
par l’employeur, afin que celui-ci ne soit pas arbitraire. Le droit des
travailleurs dans un même mouvement légitime le pouvoir de l’employeur et protège
les travailleurs.
Le Clud,
par la rencontre initiale de ses Présidents fondateurs, en a fait l’un de ses
objets premiers d’analyse. En résultent, matériellement, un atelier permanent,
des actes de colloques ainsi qu’un projet de manuel ou de traité de
droit des travailleurs (MS / Mtd).
Unité(s) du droit
L’Unité du Droit
n’est pas un dogme. Le Clud
est même convaincu qu’en tout endroit où une société d’êtres humains s’est
constituée, il y a eu du / des droit(s) (Ubi
societas, ibi jus). Nous affirmons de surcroît que si par « droit »
(objectif ou même subjectif) on entend un corps de règles et parfois même de
normes impératives, force est de constater que toutes les règles juridiques
(quelle que soit leur qualification académique de droit privé, public ou autre)
ont ceci de commun (d’où la référence à l’Unité) : il s’agit de
composantes normatives destinées à régir les activités humaines. « L’objet du droit, c’est l’homme »
affirmait déjà un certain doyen Foucart
et l’on ne peut, croyons-nous, que partager ce constat des caractères normatifs
et sociétaux de toutes les règles de Droit (d’où, là encore, une forme même
primaire d’Unité).
Public ou privé, pénal ou international, malgré la
diversité des règles et des applications, malgré la « multitude », il s’agit
toujours et encore de Droit(s). En outre, ces règles comportent peut-être plus
de points communs que leurs différences ne les laissent paraître.
Il existe vraisemblablement alors, selon les mots
pertinemment choisis du Conseiller d’Etat Aguila
une « grammaire commune » entre
les droits (public et privé notamment). Ce sont alors à nos yeux les frontières
et les classifications académiques qui sont à repenser car elles nous habituent
à considérer le Droit (en son sens objectif et normatif) en tant que droits au
pluriel, sans majuscules, et de plus en plus subjectivés (particulièrement en
France). De surcroît, « le » Droit et son Unité ne doivent pas être confondus
avec l’idée même de Justice ou d’Egalité de jugement qui correspondent à l’application
humaine et diversifiée du Droit et non aux règles juridiques proprement dites. Enfin,
l’Unité du Droit n’est en rien assimilable à son unicité. Le droit n’est pas «
unique » et « uniforme » mais possède de multiples facettes ou visages ce qui
rend malaisé sa compréhension. En effet, à regarder a priori et dans l’immédiateté le(s) Droit(s), ce n’est pas l’Unité
qui s’impose mais bien la diversité sinon parfois le capharnaüm. Mais l’Unité n’est
– redisons-le – pas synonyme d’unicité et – sauf erreur – personne parmi les
tenants ou promoteurs de la notion d’Unité du Droit (pas même le Clud !) n’appelle à la réduction de
toutes les branches et / ou spécificités juridiques en une seule et unique
forme de règles. L’Unité n’empêche en rien la diversité (MS / Mtd).
24 heures du Droit
Temps fort(s) de la vie du Clud, les 24 heures du Droit trouvent logiquement leur place
dans le paysage local de l’Université du Maine (Le Mans), dynamisé par les
célèbres 24 Heures du Mans.
Si d’emblée l’événement revêt un esprit de compétition,
il n’en reste pas moins un moment convivial ouvert à tous (juristes ou non) et
poursuit l’objectif d’unité du Droit qui est cher au Clud. Présentant des thèmes artistique, juridiques, ludiques
et novateurs, les 24 heures du Droit se veulent dans un premier temps
scientifiques, au travers des colloques qui bénéficient de différentes communications
de chercheurs, d’universitaires et de praticiens. Tous les intervenants ne sont
cependant pas juristes, mais offrent un point de vue précieux pour aborder les
thématiques retenues ; telle est la richesse de l’événement.
Les 24 heures du Droit sont aussi l’occasion pour les
étudiants de s’affronter dans une ambiance décomplexée. Au travers du jeu, les
équipes représentant différentes universités, s’appuient sur les connaissances
de chacun pour espérer remporter la victoire.
Enfin, les 24 heures du Droit sont également un temps
de fête, qui s’exprime au travers d’un Gala. C’est l’occasion pour tous les
participants de se retrouver afin de prolonger les festivités et pouvoir
échanger dans un cadre élégant et raffiné. Si la course originale éprouve l’endurance
des pilotes, les 24 heures du Droit éprouveront également l’endurance des
participants en récompensant ceux qui tiendront jusqu’au bout de la nuit…
(BB).
Web
Etait-ce bien
sérieux ? Créer un site web pour les juristes ?! En 2004 ?
Et en plus sur un sujet relevant de la science fiction, l’Unité du droit ?
Mais après une période « belle au bois dormant » c’est devenu du
sérieux : les Cahiers du l’Unité du
droit publiés en ligne, ça c’est du sérieux, les publications de l’Epitoge
et les journées d’étude tout autant : ça paraît même être devenu trop
sérieux.
Mais les apparences sont parfois trompeuses
(ainsi si on tape le nom du Clud
dans un certain moteur de recherches on tombe sur « Collectif l’Unité du
droit – boîte de nuit » ou en version anglaise [parce que le cludiste est polyglotte
« night-club], preuve qu’on sait toujours s’amuser au Clud). Le site web a comme l’association
pris en maturité et en sérieux : encore plus sérieux qu’avant sur le fond,
et un peu plus sur la forme. Il s’est étoffé aussi (ce qui comme chacun sait
est un signe de maturité), il est devenu encore plus beau (comme ses membres)
et tout ça c’est du sérieux ! (CR).
Genre XY
Le genre peut être entendu comme une nouvelle
compréhension du mot « sexe », celui-ci ne renvoyant plus seulement à une notion
strictement biologique, mâle ou femelle, mais à une notion sociopolitique
traitant du féminin et du masculin et de ce que, dans un certain contexte
culturel, on y associe. Il s’agit donc de démêler la nature de la culture,
juridique notamment. Les travaux récents du Clud
ont ainsi, par exemple, permis de montrer qu’être révolutionnaire ou fan de
football pouvait être le propre du sexe féminin (« Droits des femmes et
révolutions arabes », J. GatÉ,
Revue Méditerranéenne de droit public, 2013 ; « Droits du football », M. Touzeil-Divina,
2014) à l’encontre des idées reçues, notamment dans les médias (« Le féminisme
au prisme des séries télévisées », J. GatÉ, in Séries télévisées et idées politiques,
Dir. M. Touzeil Divina, 2013).
En aucune façon, en revanche, on le comprendra, le
genre n’est une théorie mais il peut être un précieux outil d’analyse pour
faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes (« Ce que le genre
fait au droit », Regine, Dalloz,
2013) (JG).
Z
Z comme Costa-Gravas, réalisateur cinématographique de
grande renommée mais aussi comme tous ceux (juristes ou non) célèbres
(nationalement ou plus) qui ont accepté de venir à l’un des événements
organisés par le Clud (au Conseil
d’Etat, au Conseil Constitutionnel, dans de prestigieuses Universités en France
ou même en Méditerranée).
Z donc comme Costa-Gavras évidemment (qui nous a fait l’honneur
de sa présence et de son soutien) mais aussi comme Christiane Taubira, Garde des Sceaux, comme la
chanteuse Francesca Solleville,
comme Geneviève Fraisse, comme Guy
Carcassonne, comme Robert Badinter, comme Philippe Bilger, comme Jean-Louis DebrÉ, comme Jean-Marc SauvÉ, comme Bernard Stirn,
comme de nombreux hommes et femmes politiques ou encore comme Maître
Jacques Boedels. Tous sont intervenus
dans le cadre des colloques ou conférences du Clud
et ont fait partie des conférenciers – non membres du Collectif – ayant participé à un événement organisé par le Clud. Plusieurs personnes, venues ainsi d’horizons
différents arrivent à se retrouver autour d’un seul et même sujet. On observe, alors,
un Clud déclencheur de
rencontre(s) puis d’unité, tant au niveau juridique, qu’au niveau humain.
En rassemblant juristes, économistes, artistes mais
aussi – et dans tous les cas – citoyen(ne)s, le Clud
permet de montrer une unité, humaine, infaillible autour de notions aussi
diverses que le football, les séries télévisées, la mort ou encore l’abolition
des esclavages (Shg).
Voici la 2e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du premier livre de nos Editions dans la collection Histoire(s) du Droit, publiée depuis 2013 et ayant commencé par la mise en avant d’un face à face doctrinal à travers deux maîtres du droit public : Léon Duguit & Maurice Hauriou.
L’extrait choisi est celui du commentaire de la note – par M. le professeur Arnaud de Nanteuil – du doyen Hauriou au lendemain de l’arrêt CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage dite « Gaz de Bordeaux » ; arrêt particulièrement intéressant en ces jours de confinement.
– Nombre de pages : 388 – Sortie : décembre 2013 – Prix : 59 €
ISBN / EAN : 978-2-9541188-5-7 / 9782954118857
ISSN : 2272-2963
Note sous CE, 30 mars 1916,
Compagnie générale d’éclairage dite « Gaz de Bordeaux »
in Recueil Sirey ; 1916.III.17 & La Jurisprudence administrative (III ; 578).
Présentation de M. le professeur Arnaud de Nanteuil, Université du Maine, Themis-Um (ea 4333), Directeur adjoint de l’Ecole doctorale Pierre Couvrat (ed 88)
I. Note de Maurice Hauriou, publiée au Recueil Sirey
On a souvent
loué le Conseil d’Etat d’être une juridiction d’équité, compliment dangereux,
parce qu’il provoque immédiatement la riposte bien connue : « Dieu nous garde de l’équité des
Parlements » ! Il serait à la fois plus exact et plus prudent de le
louer d’être une jurisprudence sociale,
c’est-à-dire d’orienter sa jurisprudence vers une justice élargie, toute
pénétrée d’intérêt public. Jamais ce caractère social ne s’était affirmé aussi
nettement que dans l’arrêt dont nous entreprenons le commentaire, dont l’importance
a été immédiatement soulignée, et dont la nouveauté plus apparente que réelle a
provoqué des étonnements et des critiques passionnées (V.Rev. Polit. et parl.,
mai 1916, p. 264, lettre de M. Duguit).
Un
concessionnaire de l’éclairage au gaz est lié à une ville par un traité formel ;
ce contrat prévoit des variations dans le prix des charbons, matière première
de la fabrication, et admet des variations proportionnelles dans le prix du
mètre cube de gaz ; cependant, il fixe un prix maximum, que le prix du gaz
ne pourra dépasser en aucun cas. Survient la guerre, qui entraîne la hausse
énorme que l’on sait sur les charbons ; la Compagnie du gaz déclare qu’elle
ne peut plus assurer le service ; elle demande que la ville vienne à son
secours ; le Conseil d’Etat lui donne en principe raison ; non
seulement il ne la condamne pas à continuer la fourniture du gaz au prix
maximum du contrat, mais il n’admet même pas que le contrat puisse être résilié ;
la ville sera obligée de supporter la Compagnie, laquelle continuera d’assurer
le service, et la ville devra une indemnité compensatrice de la hausse des
charbons, dans une mesure à déterminer, à moins que les parties ne préfèrent
passer, pour la durée de la guerre, une nouvelle convention, qui contiendra un
relèvement du prix des abonnements à la charge des consommateurs. Voilà pour le
fond de la décision.
En la forme,
le Conseil d’Etat adopte une procédure de jugement qui paraît surprenante. Il
est saisi de l’affaire en qualité de juge d’appel, le conseil de préfecture de
la Gironde ayant statué en premier ressort. Or, il ne termine pas lui-même le
procès ; il le coupe en deux ; il établit seulement le principe que
la ville doit venir en aide à la Compagnie, et que, si elle ne le fait pas à l’amiable,
elle devra être condamnée à une indemnité ; puis il renvoie les parties à s’entendre,
ou, sinon, à recommencer un second procès devant le conseil de préfecture. Toutes
ces singularités sont admirablement exposées et expliquées dans les
remarquables conclusions de M. le commissaire du gouvernement Chardenet, qu’on lira plus haut. Le rôle
très modeste de l’arrêtiste consistera simplement à ajouter quelques
éclaircissements spécialement destinés à répondre aux objections et aux
critiques qui ont déjà été formulées ou qui pourraient encore l’être. Ces
éclaircissements porteront sur les points suivants : 1° la conception du
contrat de concession de service public d’après la jurisprudence du Conseil d’Etat ;
2° le rôle du juge d’appel d’après la même jurisprudence ; 3° la question
du partage de compétence entre la juridiction administrative et la juridiction
civile, à propos de la répercussion de ces événements sur les abonnés au gaz.
§ 1
Le Conseil d’Etat
a élaboré, depuis un certain nombre d’années, une théorie du contrat de
concession de service public qui est allée toujours s’éloignant des principes
du droit civil, et qui devait le conduire tout naturellement aux mesures qu’il
a prises dans l’affaire de la Compagnie
du gaz de Bordeaux. Remarquons tout de suite que le Conseil d’Etat a tout
simplement appliqué ici le principe général sur lequel reposent les moratoria, à savoir, d’une part, que les
transactions ordinaires de la vie sont faites pour l’état de paix, que l’état de
guerre n’a pas pu entrer dans les prévisions des parties, d’autre part, qu’il
faut cependant que la vie sociale continue, même pendant la guerre, d’où la
conséquence que des mesures spéciales, et, s’il le faut, extra-contractuelles,
sont nécessaires, qu’elles doivent être imposées aux parties pendant la durée
de la guerre. Dans les matières civiles, il a fallu instituer les moratoria par des mesures réglementaires
ou législatives, à cause du peu de hardiesse sociale de la jurisprudence civile ;
dans les matières administratives, l’intervention du législateur n’était pas
utile ; la pente naturelle de la jurisprudence du Conseil d’Etat le
portait à prendre les initiatives nécessaires.
Déjà, en
effet, cette jurisprudence avait dégagé, dans le contrat d’entreprise ou de
concession de service public, deux idées fondamentales : d’une part, la
subordination de l’élément du contrat à l’élément d’entreprise de service
public, et surtout à la nécessité d’assurer le service ; d’autre part, l’idée
de la limitation des risques et de la responsabilité de l’entrepreneur par la
notion de ce qui est ou de ce qui n’est pas dans les prévisions normales,
autrement dit, la théorie de l’imprévision.
I. La subordination de l’élément contractuel à l’élément de service
public provient de cette observation très simple que l’entreprise ou la
concession de service public ne sont que des procédés d’institution et d’exécution
de services publics, qui, à la rigueur, auraient pu être institués et exécutés
par le procédé de la régie. Qu’un service d’éclairage soit organisé par le système
de la concession au lieu de l’être en régie, cela n’empêche pas que ce soit un service
public, et qu’une fois institué, il ne doive être assuré dans sa logique de
service public, tel que l’intérêt public l’exige, même si l’on doit faire plier
des clauses du contrat. Cette conception, qui se traduit par cette maxime :
rigidité du service public et flexibilité
du contrat, n’est pas extrêmement ancienne ; elle a succédé à une
autre conception, qui était celle de la rigidité
du contrat ou de la rigidité du
cahier des charges.
Le
changement de point de vue est lié à ce que, primitivement, on n’avait pas vu
que la concession de travaux publics, par laquelle se réalisaient les
entreprises administratives qui nous occupent, et que l’on prenait comme un
mode d’exécution de l’opération de travaux publics, était en réalité un mode d’institution
d’un service public. A mesure que cette vérité s’est fait jour, grâce à la
durée de la période d’exploitation, qui, dans chaque concession, a succédé à la
période de construction et d’installation, l’élément du contrat initial a perdu
graduellement de son importance ; il est devenu l’accessoire du service
public, révélé par la période d’exploitation. L’objet du contrat initial n’est
plus que d’établir un équilibre raisonnable entre les droits et obligations du
concessionnaire et les nécessités du service public ; cette économie
contractuelle, d’ordre essentiellement pécuniaire, constitue une sorte de
mécanisme compensateur, destiné à régulariser les relations entre l’entrepreneur
et l’entreprise, mécanisme qui suppose avant tout la primauté de l’entreprise
du service public (V. CE, 11 mars
1910, Min. des travaux publics, S. et P. 1911.3.1 ; Pand.
pér., 1911.3.1, avec les conclusions de M. Blum
et la note de M. Hauriou).
Cette primauté
du service public explique que l’inexécution des conditions, imputable au
concessionnaire, n’entraîne pas toujours la résolution du contrat. Le juge ne
consultera pas l’intérêt passager des contractants, mais l’intérêt permanent du
service, qui est que l’exploitation continue par les soins du concessionnaire.
De là, en matière de concessions de travaux publics, et même en matière de marchés
à l’entreprise, une jurisprudence de plus en plus restrictive, en ce qui concerne
les droits des administrations publiques d’infliger par décision exécutoire des
sanctions, telles que la mise en régie ou la déchéance, qui ont l’inconvénient
d’interrompre le mode de gestion de l’entreprise ou du service ; de là le
pouvoir que s’est arrogé le juge administratif de substituer à ces sanctions,
que l’on pourrait qualifier d’interruptives,
d’autres sanctions, qui ne sont pas interruptives, telles que des
dommages-intérêts, alors même que le cahier des charges n’aurait pas prévu les
dommages-intérêts, faisant ainsi échec à l’ancien principe de la rigidité du
cahier des charges (V. CE, 31 mai
1907, Deplanque, S. et P. 1907.3.113, et la note de M. Hauriou ;
adde., les conclusions de M. le
commissaire du gouvernement Romieu
dans cette affaire, Rec. des arrêts du CE,
p. 514).
C’est porté
par toute cette jurisprudence que, dans notre affaire Compagnie du gaz de Bordeaux, le Conseil d’Etat a pu écarter la solution
de la résiliation du contrat, qu’il a pu déclarer que la Compagnie resterait
tenue d’assurer le service concédé, comme la ville serait tenue de supporter la
Compagnie, parce que l’intérêt général
exige lacontinuation du service par
la Compagnie à l’aide de tous ses moyens de production. En effet, ce n’aurait
pas été le moment, en pleine guerre, d’improviser une régie municipale du gaz,
alors que, même en période de paix, ces régies industrielles sont pleines d’inconvénients.
Et c’est toujours en vertu du même mouvement de jurisprudence que le conseil
envisage la possibilité de régler la question par une indemnité ; mais,
ici, pour expliquer l’idée d’une indemnité au profit de la Compagnie du gaz, il
faut se référer à un autre développement de sa jurisprudence.
II. C’est ce qu’on a appelé, dans les débats de notre affaire,
la théorie de l’imprévision, théorie
destinée à limiter les risques et la responsabilité des contractants plus qu’elles
ne sont limitées dans le droit civil, théorie qui se rattache à une notion
administrative de la force majeure plus souple que n’est la notion civiliste,
théorie, enfin, qui fait appel à la distinction de ce qui est normal et de ce qui
est anormal, plus largement qu’on n’y fait appel dans la jurisprudence civile.
On voit qu’il s’agit là d’un mouvement de jurisprudence d’une grande ampleur ;
mais il se relie au précédent, en ce sens que c’est à mesure que l’ombre du
service concédé s’est projetée sur le contrat de concession qu’en même temps, s’est
imposée, pour l’interprétation de ce contrat, une norme de la vie
administrative qui n’est pas celle de la vie civile.
La théorie civiliste
du contrat est que toutes les éventualités possibles sont censées avoir été
prévues par le contractant qui s’engage à une prestation ; la théorie
administrative, au contraire, est que les contractants ne sont censés avoir
prévu que les éventualités habituelles, d’après le droit commun de la vie,
lequel s’établit avant tout dans l’état de paix, et qu’ainsi, il y a une marge
pour l’imprévision ; c’est la définition que l’on peut donner de la théorie de l’imprévision ; les
événements qui ne sont pas censés avoir été prévus par les parties, parce qu’ils
ne sont pas habituels dans le droit commun de la vie, jouent le rôle de cas de
force majeure, et alors, bien entendu, la notion de la force majeure est plus
étendue en droit administratif qu’en droit civil. La Cour de cassation,
interprétant l’art. 1148, C. civ., ne voit de force majeure que dans les
événements qui rendent l’exécution de l’obligation impossible (V. Cass. 22 avril 1909, S. et P. 1909.1.368 ; Pand.
pér., 1909.1.368, et la note ; 4 août 1915, S. 1916.1.17, et la note de M. Wahl) ;
le Conseil d’Etat voit la force majeure dans les événements imprévus qui
rendent l’obligation plus lourde qu’on ne pouvait le prévoir. Ainsi, la théorie
de l’imprévision s’accompagne d’une conception élargie du cas de force majeure
(V. à cet égard, les arrêts cités
dans les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Chardenet, reproduites au cours de l’article).
Cette
théorie a pris naissance dans les marchés de travaux publics et dans ceux qui,
par leur nature même, auraient semblé devoir être les plus rigoureux pour l’entrepreneur.
Il s’agissait généralement de travaux de terrassement ; des sondages
avaient été faits, révélant la nature des roches dans lesquelles devaient être
creusés des tranchées ou des souterrains ; l’entrepreneur avait pris
connaissance des résultats des sondages ; le cahier des charges l’avertissait
qu’il devait procéder à la pioche, au pic, à la pince, à la mine ; il
avait accepté ces risques ; le prix du mètre cube avait été fixé en
conséquence. Et cependant, à l’exécution, il se rencontrait des difficultés qu’il
n’avait pas prévues, et le Conseil d’Etat admettait que les difficultés dépassaient ce qu’on pouvait prévoir.
Des marchés de travaux publics, cette interprétation libérale s’étendait aux
marchés de fournitures, et des difficultés résultant de ces marchés à celles
résultant des grèves, lesquelles étaient considérées comme des événements de
force majeure, à moins qu’il ne fût démontré qu’elles étaient le résultat d’une
faute de l’entrepreneur (V. CE, 28
mai 1886, Perrichon, S. 1888.3.17 ; P.chr. ; et les
conclusions de M. le commissaire du gouvernement Gauwain ; 3 févr. 1905, Ville de Paris, Rec. des
arrêts du CE, p. 105, arrêt partiellement rapporté, S. et P. 1907.3.57 ;
5 mars 1909, Départ., de la Seine, S. et P. 1911.3.86 ; Pand.
pér., 1911.3.86 ; 3 juill. 1912, Soc.
métallurgique de l’Ariège, Rec. des
arrêts du CE, p. 771 ; 1er août 1914, Comp. des messageries maritimes, Rec. des arrêts du CE, p. 997).
Il y a, pour
expliquer cette jurisprudence, que l’on pourrait qualifier de latitudinaire,
bien des raisons, et elles se ramènent toutes à celle-ci que la vie
administrative n’est pas montée au même diapason que la vie civile, en ce qui
concerne la responsabilité des risques. Il n’est même pas sûr que la vie civile
d’aujourd’hui ait le même sentiment intransigeant de la responsabilité que la
vie civile d’autrefois. Pour ce qui est de la vie administrative, faisons les
remarques suivantes :
1° Les
administrations publiques ne conduisent pas leurs propres services publics avec
une diligentia maxima, ni avec une
prévoyance absolue ; elles auraient mauvaise grâce à être plus exigeantes
pour les entrepreneurs et concessionnaires qu’elles ne le sont pour
elles-mêmes. On pourrait objecter, il est vrai, que, si le système de la concession
est préféré à celui de la régie pour la gestion de certains services publics, c’est
justement pour que soit ainsi substituée la prévoyance des entreprises
particulières à l’imprévoyance des administrations. Cette objection a de la
portée ; mais elle n’empêche pas que l’ambiance administrative produise,
dans une certaine mesure, cet effet ; on arrive à des constatations
philosophiques comme celle faite par l’arrêt Deville-lès-Rouen du 10 janvier 1902 (S. et P. 1902. 3.17, et
la note de M. Hauriou) :
« Considérant que les deux parties sont
en faute de n’avoir pas expressément manifesté leur volonté, ce qui met le juge
dans l’obligation d’interpréter leur silence, etc. ». Imprévision réciproque, faute réciproque, c’est chose courante
admise par le juge administratif, qui en profite pour étendre son propre pouvoir.
2° Il ne
faut pas considérer les entrepreneurs, concessionnaires et fournisseurs, avec
lesquels l’Administration passe des marchés, comme lui étant complètement
étrangers. Ce personnel constitue comme une sorte de clientèle, que l’Administration
a intérêt à ménager, parce qu’il est habituellement à son service. En outre,
spécialement dans les concessions de services publics faites pour une longue
durée, il s’établit comme une sorte d’association entre le concessionnaire et l’Administration.
Dans tous les cas, il est désirable que cette association s’établisse. Le type
de concession vers lequel on s’achemine est celui de la régie intéressée, qui
est une sorte de métayage, où les bénéfices sont partagés, aussi les risques. A
ce point de vue, il est intéressant de remarquer que la Compagnie du gaz de
Bordeaux, dont le traité date seulement de 1904, n’est pas propriétaire de l’usine,
et que ce n’est pas elle qui a établi la canalisation ; elle n’est que
fermière de ces diverses installations, pour lesquelles elle paye à la ville un
loyer annuel ; en outre, il doit être attribué aux ouvriers et employés
commissionnés 10 p. 100 des bénéfices nets de l’entreprise, c’est-à-dire que la
Compagnie est déjà à moitié dans la situation d’un régisseur intéressé, à
moitié associé, avec la ville.
D’ailleurs,
dans cette théorie administrative du contrat d’entreprise, tout s’enchaîne ;
le contrat est dominé par l’entreprise des services administratifs et la
limitation des risques provient des mœurs administratives, lesquelles sont
façonnées par les exigences du fonctionnement des services. Au demeurant, il y
a un gros organisme objectif qui fonctionne, et devant lequel se minimise l’effet
des volontés subjectives, comme s’atténuent les responsabilités subjectives ;
la loi du contrat fléchit sous le même poids que le risque contractuel ; tout
le contrat administratif est comme écrasé par l’importance de son objet ;
le contrat a essayé d’embrasser dans ses clauses une institution vivante ;
mais la tâche est au-dessus de ses forces, et l’institution déborde de tous les
côtés.
§ 2
Venons
maintenant à la procédure imaginée par le Conseil d’Etat pour régler le litige.
Le Conseil d’Etat était saisi en appel, l’affaire ayant été jugée en premier ressort
par le conseil de préfecture de la Gironde. C’était la Compagnie du gaz qui
était demanderesse. Elle avait demandé à la ville de Bordeaux de lui venir en
aide ; la ville avait rejeté sa demande. La Compagnie avait alors saisi le
conseil de préfecture ; celui-ci avait rejeté sa demande contentieuse.
Elle était venue en appel au Conseil d’Etat ; ses conclusions contenaient deux
chefs ; elle demandait, d’abord, que la ville fût condamnée à lui venir en
aide pour assurer le service pendant la durée de la guerre ; ensuite, elle
réclamait une indemnité ferme, représentant le préjudice qu’elle avait déjà
subi du fait de la hausse du charbon, depuis le début de la guerre jusqu’au
jour du procès.
Or, le
Conseil d’Etat, dans son arrêt, ne statue que sur le premier chef des
conclusions ; il condamne en principe la ville à venir en aide à la
Compagnie ; il établit en principe le droit de la Compagnie à une
indemnité, et même il en pose les bases ; mais il ne condamne pas lui-même
la ville à payer une somme déterminée. Il renvoie les parties à se pourvoir
devant le conseil de préfecture de la Gironde pour la fixation de l’indemnité,
si mieux elles n’aiment, d’ici là, s’entendre à l’amiable sur les conditions où
la ville pourra venir en aide à la Compagnie.
Ainsi, voilà
un juge d’appel qui ne vide pas entièrement le procès par sa décision ; il
le coupe en deux ; il sépare ce qu’on pourrait appeler la tête et la
queue, il statue sur la tête, et, pour ce qui est de la queue du procès, il la
renvoie devant le juge de première instance, dans de telles conditions que, si
elle y revient véritablement, elle donnera lieu à un second déroulement de
procédure en premier ressort et en appel.
C’est contre
ce procédé que M. Duguit s’emporte
et s’indigne dans l’article précité.
« L’arrêt du Conseil d’Etat, dit-il, est en contradiction violente avec
certaines règles indiscutées et indiscutables, qui sont la sauvegarde
indispensable du justiciable ».
Nous
concevons que les façons de faire du Conseil d’Etat puissent causer quelque
surprise à qui n’a pas une pratique assidue de sa jurisprudence ; mais,
avant d’entrer dans des explications détaillées, il convient de faire observer
que, dans l’espèce, bien loin de nuire aux intérêts des justiciables, la
procédure suivie ne pouvait que leur être favorable, en même temps qu’elle
respectait soigneusement leur autonomie. Comment ! Voilà une affaire où s’agitait
une grosse question de principe, laquelle, en réalité, avait seule été plaidée :
derrière celle question de principe, il y avait le calcul d’une grosse indemnité,
sur laquelle les débats n’avaient pas porté ; il y avait aussi la question
d’une alternative ouverte devant la ville : ou bien payer une indemnité,
ou bien consentir à un relèvement du prix du gaz à la charge des abonnés ;
et l’on soutiendrait que l’intérêt des justiciables était de faire trancher les
questions par le juge tout de suite, bien qu’elles eussent été mal étudiées, et
bien que les parties n’eussent pas eu le loisir de les envisager, puisqu’elles
ne savaient pas jusque-là si le principe de l’obligation de la ville serait
posé ! Le bon sens le plus élémentaire indique, au contraire, que, pour les
justiciables, il vaut mieux que les questions soient sériées, qu’elles soient
plaidées successivement, que des alternatives leur soient ouvertes. Sans doute,
si des règles formelles de procédure s’opposent à l’emploi de cette méthode, il
faudra bien s’incliner ; mais si elles ne s’y opposent pas, et c’est ce
que nous allons examiner, la méthode mérite d’être employée, parce qu’elle est
bonne et avantageuse.
M. Duguit affirme que deux règles
essentielles ont été violées, celle de l’effet dévolutif de l’appel et celle de
l’indépendance réciproque des deux juridictions.
La question
est de savoir si ces deux règles, à supposer, qu’elles soient essentielles dans
la procédure civile, le sont au même degré dans la procédure administrative. On
peut légitimement en douter, étant donné le principe que les textes du Code de
procédure civile ne sont pas directement applicables à la procédure
administrative (V. Hauriou, Précis de droit administratif, 11e éd., p. 992 et s.).
La seule
idée vraiment essentielle que contienne l’institution de l’appel, et qui doive
forcément passer dans toutes procédures, est celle du double degré de
juridiction ; il faut que toute question soulevée par le procès soit
soumise successivement à deux juges ; voilà la proposition irréductible ;
tout le reste est de la réglementation accessoire ; que le juge d’appel
puisse ou ne puisse pas couper en deux le procès, et en renvoyer à nouveau une
partie devant le juge du premier ressort, cela n’a pas d’importance au point de
vue de l’institution de l’appel, pourvu que les deux morceaux du procès passent
successivement en première instance et en appel. Quant à la procédure de renvoi
devant le juge de premier ressort, « et en même temps de renvoi devant l’Administration,
pour ouvrir à celle-ci une alternative, elle n’a point été inventée de toutes
pièces par le Conseil d’Etat, et elle se réclame de précédents fort
intéressants à en rapprocher.
Il est à
remarquer que notre arrêt pose le principe d’une indemnité due par la ville à
la Compagnie du gaz, et qu’il renvoie devant le conseil de préfecture pour la
fixation de cette indemnité, si les parties n’aiment mieux s’entendre ;
or, cette procédure est connue du Code de procédure civile, sous le nom de procédure en liquidation par suite d’instance
(C. proc., 128, 523 et s.) ; elle est prévue, d’abord, pour être appliquée
par un même tribunal, qui, par un premier jugement, pose le principe de l’indemnité,
et qui, par un second jugement, en prononce la liquidation. Mais l’art. 472, C.
proc., étend cette procédure au cas d’un juge d’appel, qui, après avoir posé le
principe de l’indemnité, charge un tribunal de première instance d’en prononcer
la liquidation, ce qui est notre hypothèse. Sans doute, le Code de procédure
civile entoure cette liquidation par suite d’instance de certaines
restrictions, et, notamment, il ne permet pas le renvoi, après infirmation,
devant le même juge du premier ressort qui avait déjà connu de l’affaire ;
mais pourquoi le Conseil d’Etat ne se serait-il pas emparé du principe sans s’embarrasser
des restrictions, puisqu’il n’est pas lié par les textes, et qu’il ne prend des
institutions de la procédure civile que la substantifique moelle ?
Avec cette
procédure en liquidation par suite d’instance vient se combiner la procédure de
liaison du contentieux par la décision préalable, à laquelle le Conseil d’Etat s’attache
énergiquement, parce qu’elle est très respectueuse de l’autonomie des
administrations publiques. Il l’applique, non seulement au début des instances,
mais même aux tournants des procès, lorsqu’il se découvre quelque nouvel aspect
de la question sur lequel il estime que l’Administration n’a pas réellement
pris parti. Une administration publique ne pense pas à tout à la fois, comme un
particulier ; au contraire, elle ne pense qu’à une chose chaque fois ;
elle marche à pas comptés par décisions successives ; le juge
administratif se plie à cette méthode successive de décisions par une méthode
successive de jugement des instances ; c’est alors qu’il estime que l’affaire
n’est pas en état, et qu’il la coupe en deux. Le Conseil d’Etat a inauguré
depuis longtemps cette pratique dans les affaires où il est juge de premier
ressort ; dans le contentieux des pensions de retraite des fonctionnaires,
lorsqu’une décision refusant la pension a été annulée par lui, au lieu de
liquider la pension lui-même, il renvoie toujours l’intéressé devant le
ministre pour la liquidation, sauf à revenir devant lui ; dans le
contentieux des indemnités pour faute de service, lorsque l’Administration avait
refusé toute indemnité, et qu’il reconnaît que c’est à tort, il applique la
même procédure, non pas toujours, mais souvent.
Sans doute,
dans notre affaire, le Conseil d’Etat était juge d’appel, et, en coupant l’instance
en deux, il renvoyait les parties à revenir en premier ressort devant le
conseil de préfecture ; mais il y était autorisé par l’institution des
procédures en liquidation par suite d’instance ; et, d’ailleurs, il y
avait un intérêt majeur à cause de l’alternative qu’il s’agissait d’ouvrir aux
parties.
Il ne faut
pas oublier cet élément du dispositif de notre arrêt, qui est essentiel :
le Conseil d’Etat condamne bien en principe la ville de Bordeaux à payer une
indemnité à la Compagnie du gaz ; mais il lui suggère un moyen d’éviter d’avoir
à payer cette indemnité, en consentant à une nouvelle convention par laquelle
le prix du gaz serait augmenté. Pratiquement, cette solution est de beaucoup la
plus avantageuse et la plus désirable ; mais le Conseil d’Etat a estimé
que ce prix ne peut être relevé que comme il a été établi, c’est-à-dire par une
convention passée entre la ville et la Compagnie, avec stipulation pour autrui
pour le compte des abonnés, et avec adhésion de ceux-ci (Cf. jugement du tribunal civil de la Seine du 10 mai 1916, avec les
très intéressantes conclusions de M. le substitut Regnault, Gaz. des
trib. du 29 mai) ; le Conseil d’Etat ne pouvait pas imposer ce contrat ;
il est de principe que le juge administratif n’impose jamais à une
administration publique une obligation de faire ; il ne pouvait que lui
ouvrir une alternative entre le paiement d’une indemnité et la passation du
contrat ; mais, pour ce faire, il fallait interrompre l’instance, et c’est
ce que, profitant de toutes les ressources de procédure que nous avons
signalées, il a résolu.
Est-ce que, par-là,
il aurait attenté à l’indépendance du conseil de préfecture comme juge de
premier ressort ? C’est un bien gros mot pour qualifier une simple
question d’autorité de la chose jugée. Sans doute, le Conseil d’Etat affirme qu’en
principe, l’indemnité est due, si la ville ne consent pas à un arrangement ;
le conseil de préfecture est-il obligé de s’incliner ? Question discutée,
et qui est relative à l’autorité de la chose jugée. Elle s’est posée dans les
relations de la Cour d’appel et du tribunal de première instance, dans l’hypothèse
de l’art. 472, C. proc. ; la Cour de cassation a estimé que le tribunal
civil n’était pas lié, au moins en ce qui concerne l’existence du préjudice ;
elle aurait pu juger le contraire, sans que l’indépendance du tribunal fût compromise ;
l’autorité de la chose jugée est fondée sur d’autres motifs que sur le désir de
respecter l’indépendance du juge (V.
Cass., 28 nov. 1888, S. 1889.1.369 ; P. 1889. 908, et la note de M. Meynial ; Pand. pér., 1889.1.150. V.
aussi, Tissier, Rev. crit., 1888, p. 539). En tout cas,
ici, que le conseil de préfecture juge comme il voudra, cela n’a pas d’inconvénient ;
l’affaire reviendra toujours devant le Conseil d’Etat, qui aura le dernier mot.
Enfin, tout
cela est si peu révolutionnaire que ce n’est même pas une nouveauté. Il y a
vingt ans déjà, dans une affaire Deshayes, du 6 avril 1895 (Rec. des arrêts du CE,
p. 345, arrêt rapporté pour partie S.
et P. 1897.3.80), le Conseil d’Etat a
appliqué exactement la même procédure. Il s’agissait d’un régisseur intéressé du
service des eaux, dont la déchéance avait été prononcée à tort par le maire de
la ville de Lorient ; on était allé au conseil de préfecture, puis au
Conseil d’Etat. Celui-ci déclare que l’arrêté de déchéance ne sera pas annulé,
mais que la ville doit une indemnité, que l’état de l’instruction ne permet pas
de statuer immédiatement, « que, dès
lors, il y a lieu de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture pour
fixer le chiffre de l’indemnité à laquelle a droit le requérant, soit que cette
indemnité ne doive s’appliquer qu’à l’intervalle de temps écoulé depuis la
déchéance prononcéejusqu’au jour où
la ville donnerait son consentement à ce que le traité continuât à recevoir son
exécution, soit que, dans le cas contraire, cette indemnité doive comporter l’entière
réparation du préjudice ».
Tout y est,
même l’alternative d’arrangement amiable ouverte à la ville. Nous ajoutons que Laferrière a mentionné cet arrêt dans la
2e édition de son Traité de la
juridiction administrative, t. II, p. 131, note 1, et qu’il n’a émis aucune
critique.
§ 3
Il est à
remarquer que le litige engagé entre la Compagnie du gaz de Bordeaux et la
ville de Bordeaux devant le Conseil d’Etat laisse complètement de côté la
question des relations entre la Compagnie et les abonnés ; le commissaire
du gouvernement, dès le début de ses conclusions, écarte soigneusement ce point
de vue, sur lequel l’arrêt est muet. M. le commissaire du gouvernement s’appuie
pour justifier cette attitude sur des raisons de compétence, les contrats d’abonnement
entre la Compagnie et les particuliers relevant des tribunaux judiciaires ;
mais il y a une raison plus fondamentale, à savoir qu’il ne saurait y avoir de
procès entre la Compagnie et les abonnés au sujet du relèvement du prix maximum
du gaz. Le prix maximum du gaz n’est pas fixé par une clause du contrat passé
avec les abonnés ; il est fixé dans le cahier des charges du traité passé
avec la ville, par ce que l’on appelle le tarif maximum. Le tarif maximum n’est
pas une affaire entre la Compagnie et les abonnés ; il est une affaire entre
la Compagnie et la ville. La ville a stipulé pour les abonnés lors du traité ;
c’est elle qui doit stipuler encore, lors des modifications au traité ;
les abonnés sont ici nécessairement représentés par la ville, parce que le
tarif maximum pour les abonnements est nécessairement lié à l’ensemble financier,
de l’opération faite par la ville. Et les abonnés sont immédiatement obligés
par le relèvement de prix consenti par la ville (Trib. de la Seine, 10 mai
1916, précité).
A ce point
de vue, il faut reconnaître que notre affaire avait été correctement engagée
par la Compagnie du gaz de Bordeaux. Celle-ci doit être louée de s’être
adressée à la ville, au lieu d’avoir essayé d’imposer aux abonnés un relèvement
du prix du gaz, de sa propre autorité ; il faut songer que, tant qu’a duré
le procès, pendant une année presque entière, elle a supporté à elle seule l’avance
de la perte considérable résultant de la hausse du charbon.
Toutes les
Compagnies n’ont pas eu la même abnégation, ni la même correction juridique. Il
en est qui, procédant par décision exécutoire, comme si elles eussent été des
administrations publiques, ont signifié aux abonnés, par la voie de la presse,
qu’à partir de telle date, elles relèveraient le prix du gaz, et qu’aux abonnés
qui ne consentiraient pas à payer le nouveau prix, elles appliqueraient la sanction
de la fermeture du compteur. Un abonné s’est rencontré, qui a résisté ;
son compteur a été fermé ; il est allé en référé devant le président du
tribunal civil, demandant la réouverture du compteur, motifs pris de ce que, dans
une question litigieuse de cette nature, la compagnie n’avait pas le droit de s’adjuger
à elle-même le bénéfice du provisoire pendant la durée du procès au fond ;
la Compagnie jouait le rôle de demandeur au point de vue du relèvement du prix ;
elle devait, jusqu’à l’issue de ce procès au fond, conserver ce rôle, et ne
faire payer que l’ancien prix ; d’ailleurs, elle n’avait pas le droit de
procéder par décision exécutoire et de se faire justice elle-même, car elle n’était
pas une administration publique. Cette argumentation était la raison même ;
aussi le président du tribunal civil donna-t-il gain de cause à l’abonné. Mais
la Compagnie du gaz fit appel, et l’ordonnance de référé fut annulée par la
Cour pour incompétence, motifs pris de ce qu’il y avait connexion avec un
litige administratif engagé au fond entre la compagnie et la ville devant le conseil
de préfecture (V. Toulouse, 17 avril
1916, S. 1916. 2,36).
Cette règle
de l’incompétence, par connexité entre le provisoire et le fond, peut avoir du
bon, mais, dans le cas présent, son application aboutissait à un véritable déni
de justice. Si le président du tribunal civil n’était pas compétent pour
ordonner par référé la réouverture du compteur, alors aucun juge n’était compétent.
Sans doute, aux termes de l’art. 24 de la loi du 22 juillet 1889, le président
du conseil de préfecture peut, en cas d’urgence, désigner un expert pour la
constatation des faits qui seraient de nature à motiver une réclamation devant
ce conseil ; mais tout le monde s’accorde pour reconnaître que ce référé
est exceptionnel, et qu’il ne s’applique qu’à l’exécution du marché de travaux
publics, dans les relations de l’entrepreneur et de l’Administration
(V. Laferrière,
op. cit., t. I, p. 374 ; Teissier et Chapsal, Traité de la
proc. devant les cons. de préfect., p, 165).
D’ailleurs,
le référé administratif se fût-il appliqué à notre hypothèse, le président du
conseil de préfecture n’aurait jamais eu que le pouvoir de faire constater le
fait de la fermeture du compteur et non pas celui d’en prescrire la
réouverture, car il n’a pas le pouvoir d’injonction (V. Laferrière, op. et loc. cit.), c’est-à-dire qu’il n’aurait pas eu le pouvoir de
solutionner la véritable question, qui était de rétablir provisoirement l’abonné
en possession du gaz.
C’est
pourtant un principe supérieur que toute question litigieuse doit trouver un
juge, et nous croyons que le principe a plus d’importance que celui de la
connexité d’affaires relevant de compétences diverses. La Cour nous paraît
avoir mal jugé ; le résultat a été que les abonnés ont été contraints de
payer par avance une augmentation de prix du gaz arbitrairement fixée par la
seule compagnie, ce qui est consentir à une Compagnie privée un privilège
inacceptable.
II. Extraits de la décision
commentée
(…) Sur les fins de non-recevoir opposées par la
ville de Bordeaux :
Considérant
que les conclusions de la Compagnie requérante tendaient, devant le conseil de
préfecture, comme elles tendent devant le Conseil d’Etat, à faire condamner la
ville de Bordeaux à supporter l’aggravation des charges résultant de la hausse
du prix du charbon ; que, dès lors, s’agissant d’une difficulté relative à
l’exécution du contrat, c’est à bon droit que, par application de la loi du 28
pluviôse an VIII, la Compagnie requérante a porté ses conclusions en première instance
devant le conseil de préfecture, et en appel devant le Conseil d’Etat ;
Au fond :
Considérant
qu’en principe, le contrat de concession règle, d’une façon définitive, jusqu’à
son expiration, les obligations respectives du concessionnaire et du concédant ;
que le concessionnaire est tenu d’exécuter le service prévu dans les conditions
précisées au traité, et se trouve rémunéré par la perception, sur les usagers,
des taxes qui y sont stipulées ; que la variation des prix des matières
premières, à raison des circonstances économiques, constitue un aléa du marché,
qui peut, suivant le cas, être favorable ou défavorable au concessionnaire, et
démettre à ses risques et périls, chaque partie étant réputée avoir tenu compte
de cet aléa dans les calculs et prévisions qu’elle a faits avant de s’engager ;
Mais
considérant que, par suite de l’occupation par l’ennemi de la plus grande
partie des régions productrices de charbon dans l’Europe continentale, de la difficulté
de plus en plus considérable des transports par mer, à raison tant de la
réquisition des navires que du caractère et de la durée de la guerre maritime,
la hausse survenue au cours de la guerre actuelle dans le prix du charbon, qui
est la matière première de la fabrication du gaz, s’est trouvée atteindre une
proportion telle que, non seulement elle a un caractère exceptionnel, dans le
sens habituellement donné à ce terme, mais qu’elle entraine dans le coût de la
fabrication du gaz une augmentation, qui, dans une mesure déjouant tous les
calculs, dépasse certainement les limites extrêmes des majorations ayant pu
être envisagées par les parties lors de la passation du contrat de concession ;
que, par suite du concours des circonstances ci-dessus indiquées, l’économie du
contrat se trouve absolument bouleversée ; que la compagnie est donc
fondée à soutenir qu’elle ne peut être tenue d’assurer, aux seules conditions
prévues à l’origine, le fonctionnement du service, tant que durera la situation
anormale ci-dessus rappelée ;
Considérant
qu’il résulte de ce qui précède que, si c’est à tort que la Compagnie prétend
ne pouvoir être tenue de supporter aucune augmentation du prix du charbon
au-delà de 28 francs la tonne, ce chiffre ayant, d’après elle, été envisagé
comme correspondant au prix maximum du gaz prévu au marché, il serait tout à fait
excessif d’admettre qu’il y a lieu à l’application pure et simple du cahier des
charges, comme si l’on se trouvait en présence d’un aléa ordinaire de l’entreprise ;
qu’il importe, au contraire, de rechercher, pour mettre fin à des difficultés
temporaires, une solution qui tienne compte tout à la fois de l’intérêt général,
lequel exige la continuation du service par la Compagnie à l’aide de tous les
moyens de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas au
contrat de recevoir son application normale ; qu’à cet effet, il convient de
décider, d’une part, que la Compagnie est tenue d’assurer le service concédé,
et, d’autre part, qu’elle doit supporter, seulement au cours de cette période
transitoire, la part des conséquences onéreuses de la situation de force
majeure ci-dessus rappelée que l’interprétation raisonnable du contrat permet
de laisser à sa charge ; qu’il y a lieu, en conséquence, en annulant l’arrêté
attaqué, de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture, auquel il
appartiendra, si elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les
conditions spéciales dans lesquelles la Compagnie pourra continuer le service,
de déterminer, en tenant compte de tous les faits de la cause, le montant de l’indemnité
à laquelle la Compagnie a droit, à raison des circonstances extra-contractuelles
dans lesquelles elle aura dû assurer le service pendant la période envisagée ;
(…) – Décide :
Art. 1er.
L’arrêté du conseil de, préfecture de la Gironde, en date du 30 juillet 1915,
est annulé.
Art. 2. La
Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux et la ville de Bordeaux sont
renvoyées devant le conseil de préfecture, pour être procédé, si elles ne s’entendent
pas aimablement sur les conditions spéciales auxquelles la Compagnie continuera
son service, à la fixation de l’indemnité à laquelle la Compagnie a droit, à
raison des circonstances extra-contractuelles dans lesquelles elle aura dû
assurer le service concédé.
En mai 2005, un tribunal arbitral international rendait
une sentence dans une affaire complexe opposant une importante société
américaine à l’Etat argentin. Il s’agissait d’un contentieux comme il en existe
tant d’autres aujourd’hui, considérables par l’ampleur des enjeux politiques et
financiers qu’ils recouvrent. Le différend était né autour d’un contrat de
concession passé entre l’Etat et l’entreprise étrangère, pour la gestion et l’exploitation
d’un réseau national de distribution de gaz. La sentence elle-même emprunte des
chemins parfaitement classiques et balisés, jusqu’à son paragraphe 224 où est
mentionné, avant d’être largement détaillé et de servir même de fondement à la
décision des arbitres, l’arrêt du 30 mars 1916 rendu par le Conseil d’Etat
français en l’affaire dite du « gaz de Bordeaux » (CMS Gas Transmission Company vs The
Argentine Republic, ARB/01/8, sentence du 12 mai 2005, ICSID Reports vol. 14, p. 158). Fallait-il pour cela que la
décision en question fût d’une importance remarquable et soulevât un enjeu qui
dépasse largement les frontières françaises. C’est bien parce qu’en somme la
question abordée – et la réponse proposée par le juge français – était
universelle qu’un tel rayonnement peut s’expliquer[2].
L’on comprend en pareille perspective les termes
employés par Hauriou au sujet de
cet arrêt : tout en se gardant bien d’évoquer l’équité et rappelant le
célèbre adage révolutionnaire à l’endroit des Parlements – lequel n’invoquait d’ailleurs
rien moins que Dieu à cette
occasion – l’illustre commentateur estime qu’« il serait plus exact et plus prudent de (…) louer [le Conseil d’Etat] d’être
une juridiction sociale, c’est-à-dire, d’orienter sa jurisprudence vers une
justice élargie, toute pénétrée d’intérêt public ». Il est vrai,
poursuit-il, que « jamais le
caractère social ne s’était affirmé aussi nettement » que dans cette décision,
remarquable à plus d’un titre.
Il faut rappeler brièvement le contexte de cette
affaire, rendue au sujet du contrat de concession entre la ville de Bordeaux et
une compagnie privée assurant la distribution du gaz à l’ensemble de ses
habitants. La première guerre mondiale ayant entraîné un accroissement
considérable du prix des matières premières, l’équilibre contractuel se
trouvait fortement malmené, puisque la compagnie ne pouvait raisonnablement
poursuivre son activité sauf à assumer une augmentation considérable de ses
frais risquant de la mener à sa perte. Ayant réclamé un soutien financier à la
ville et s’étant heurté à un refus validé par le Conseil de préfecture, la
Compagnie avait donc saisi le Conseil d’Etat en appel qui, en vertu de la théorie
dite « de l’imprévision », décida de la poursuite de la relation
contractuelle – malgré ce qu’il faut bien convenir d’appeler un bouleversement
de ses conditions de conclusion – tout en imposant à la personne publique
d’assumer une partie de l’accroissement des dépenses, sous la forme d’une
indemnisation versée au concessionnaire. En d’autres termes, souligne Hauriou, la Haute juridiction s’intègre
résolument dans une logique de service public en ne prononçant pas la
résolution du contrat puisqu’en définitive « l’intérêt général exige la continuation du service par la compagnie à l’aide
de tous ses moyens de production », justifiant un soutien financier de
la municipalité. Le commentateur aura alors à cœur de souligner à quel point,
avec cet arrêt, c’est une révolution qui parvient à son terme : révolution
marquée par la naissance d’un véritable régime autonome du contrat
administratif, entièrement traversé par l’intérêt général qui implique une
souplesse dans la vie de la convention, inédite dans le cadre du code civil.
Comme il l’indique avec une grande clarté : « la théorie civiliste du contrat est que toutes les éventualités
possibles sont censées avoir été prévues par le contractant qui s’engage à une
prestation ; la théorie administrative, au contraire, est que les
contractants ne sont censés avoir prévu que les éventualités habituelles, d’après
le droit commun de la vie, lequel s’établit avant tout dans l’état de paix, et
qu’ainsi, il y a une marge de manœuvre pour l’imprévision ».
En définitive, c’est donc tout l’esprit du droit
administratif qui trouve ici sa traduction en matière contractuelle. Car c’est
bien l’intérêt du plus grand nombre, en l’occurrence incarné par la nécessité d’une
fourniture permanente d’énergie aux habitants d’une grande ville, qui justifie
les libertés prises avec l’engagement conventionnel. Au fond, écrit
admirablement le dédicataire de ces lignes, « tout le contrat administratif est comme écrasé par l’importance de son
objet ; le contrat a essayé d’embrasser dans ses clauses une institution
vivante ; mais la tâche est au-dessus de ses forces, et l’institution
déborde de tous les côtés ». A ce combat perdu d’avance entre la
convention rigide et l’intérêt général qui nécessite une adaptation constante,
plusieurs issues étaient possibles, mais une seule était véritablement au
service du public : celle qui consistait précisément à « subordonner l’élément contractuel à l’élément
service public » en dépassant franchement la lettre de l’engagement
conventionnel pour l’adapter aux évolutions exceptionnelles du contexte de la
relation.
Reste qu’un élément n’est nullement évoqué par Hauriou, lequel semble soutenir sans
nuance aucune la solution retenue par le Conseil d’Etat et qui tient aux
conséquences financières de la décision pour la collectivité. Car en
définitive, le prix de l’évolution imposée à la relation contractuelle sera
bien assumé principalement par la personne publique, même si la détermination
du montant exact de l’indemnisation est renvoyée à l’appréciation du Conseil de
préfecture[3].
L’on ne peut à cet égard s’empêcher de déceler d’ores et déjà l’amorce – qu’Hauriou ne pouvait identifier – d’une
tendance « assurancielle » de la jurisprudence administrative,
laquelle atteindra son point culminant avec la multiplication des cas de
« responsabilité » sans faute. Même si, dans le contexte qui était le
sien, la solution de l’affaire gaz de
Bordeaux n’est en rien choquante et doit être largement saluée, sans doute
constitue-t-elle un premier pas sur ce chemin, en ce sens qu’il appartient
désormais à l’Etat d’assumer le poids financier des évolutions que personne ne
pouvait prévoir. Mais peut-être après tout est-ce là, au fond, ce que l’on
appelle l’intérêt général qui a le droit lui aussi, et d’ailleurs même sans
doute plus que tout autre, d’avoir un prix.
[1] Par M. le professeur Arnaud de Nanteuil, Université du Maine,membre du Themis-Um (ea
4333), Directeur adjoint de l’Ecole doctorale Pierre Couvrat (ed
88).
[2] On passera ici sur la discussion qui peut – et qui
doit ! – être menée du point de vue du droit international public mais qui
n’a pas lieu d’être ici. Car au-delà de la surprise, le fondement juridique
exact de la prise en compte d’une telle jurisprudence par un tribunal statuant
en droit international public est particulièrement nébuleux.
[3] Cet aspect là fait d’ailleurs l’objet de la seconde
partie du commentaire d’Hauriou,
qui reproche au Conseil d’Etat d’avoir « coupé en deux » la solution,
en se prononçant favorablement pour le principe d’une indemnisation mais en
renvoyant la détermination de son montant au juge du fond. Il s’agit davantage
d’une question procédurale, qui ne sera pas abordée ici.
Nota Bene : le présent ouvrage est diffusé par les Editions Lextenso. Vous pouvez donc vous le procurer directement auprès de notre diffuseur ou dans toutes les bonnes librairies (même virtuelles).
Pour le mettre en avant, nous avons choisi de publier la contribution de M. Morgan Sweeney, co directeur scientifique de l’ouvrage et vice Président du Collectif L’Unité du Droit qui (en 2012) n’était pas encore Maître de conférences à l’Université Paris Dauphine.
Signalons par ailleurs la publication de l’auteur dans nos Editions de sa magistrale thèse : L’exigence d’Egalité à l’épreuve du dialogue des juges (Paris, L’Epitoge ; 2016 – volume V de la même collection l’Unité du Droit).
Volume I : Droits du travail & des fonctions publiques : Unité(s) du Droit
Ouvrage collectif (Direction Morgan Sweeney & Mathieu Touzeil-Divina)
– Nombre de pages : 262 – Sortie : février 2012 – Prix : 29 € (bientôt épuisé)
ISBN : 978-2-9541188-0-2
ISSN : 2259-8812
La notion d’emploi au croisement des droits du travail et des fonctions publiques
Morgan Sweeney, Vice-Président du Collectif L’Unite du Droit Docteur en droit, Université Paris Ouest Nanterre la Défense, Irerp
Les droits du travail et des fonctions publiques
apparaissent, à certains égards, comme étranger à la question de l’emploi.
Lorsque le salarié est embauché et l’agent public nommé, le problème de
l’emploi est résolu : le travailleur occupe un emploi et ne dépend plus du
régime du chômage, droit du « non-emploi »[1]. En
outre, les droits du travail et des fonctions publiques n’ont qu’un rôle
d’appoint dans la création d’emplois[2].
Ceux-ci ne sauraient créer en eux-mêmes le besoin d’emploi des employeurs
privés et publics. Toutefois, la notion d’emploi est loin d’être étrangère à
ces droits. Tout d’abord, celle-ci est attachée au poste occupé par le
travailleur[3].
En particulier, les droits du travail et des fonctions publiques offrent aux
employeurs privés comme publics des formes d’emplois fort variées qui leur
permettent une gestion des ressources humaines. Ensuite, les politiques de
l’emploi influencent les réformes en droits du travail et des fonctions publiques.
En effet, les réformes récentes, inspirées de la « flexisécurité »[4],
reposent sur le présupposé que certaines « rigidités »,
dissuaderaient l’embauche et constitueraient un frein au plein emploi. Ces
réformes cherchent alors à concilier le droit à l’emploi de chacun et le choix
de gestion de l’employeur[5].
Indéniablement, la problématique de l’emploi est aujourd’hui au cœur des droits
du travail et des fonctions publiques. Cette problématique est commune aux
sciences juridiques et économiques. Dans le vocabulaire de chacune d’elle,
« emploi » et « travail » sont intimement liés[6]. En
effet, l’employeur qui recherche à recruter un travailleur sur un poste, offre
un emploi, mais demande du travail. Le travailleur offre son travail et demande
un emploi. En revanche, les droits des fonctions publiques reposent sur un
système de carrière[7].
Il s’oppose au système d’emploi ou fonction publique de « structure ouverte »[8], qui
renvoie au cas où le travailleur est recruté pour un poste déterminé.
Toutefois, l’attachement, de plus en plus en fébrile[9], des
fonctions publiques au système de la carrière ne serait dissuader toute étude
de « droit comparé interne » entre droit du travail d’un côté et
droits de fonctions publiques de l’autre.
Tout d’abord, les fonctionnaires occupent, selon les
termes mêmes de leurs statuts, des emplois qui doivent correspondre à leur
grade. Par ailleurs, de plus en plus fréquemment salariés et fonctionnaires
cohabitent professionnellement dans des entités communes. Les entreprises privatisées
en fournissent des exemples ostentatoires[10],
auxquelles il convient d’ajouter notamment les transferts d’entreprise du privé
vers le public, de mise à disposition[11].
D’ailleurs, dans certaines entreprises, salariés et fonctionnaires accomplissent
des tâches et assument des responsabilités identiques[12].
L’étude de la notion d’emploi permet non seulement de rendre compte de ces
phénomènes d’hybridation, mais surtout dévoile les sujétions et les droits
communs de ces travailleurs. Cette notion, tant en droit du travail que dans
les droits des fonctions publiques, renvoie à une pluralité de valeurs et de
connotations. En effet, elle vise tour à tour des préoccupations d’ordre
macroéconomique (le plein-emploi) ou de relation interindividuelle (la relation
d’emploi), ou encore au poste occupé ou le statut auquel il donne droit.
Au-delà du polymorphisme de l’emploi, illustré par les usages divers de la
notion (I.), se dessine une grammaire commune. Celle-ci vise de manière ultime
une relation, qui à l’image du couple en psychanalyse, ne se réduit pas à
« un + un »[13].
Faire couple suppose en réalité d’être conscient de composer ensemble une
troisième entité[14].
Le lien de couple constitue alors une troisième composante, avec ses impératifs
et ses contraintes propres : les projets en commun sont en quelque sorte
autonomes par rapport aux deux autres entités, les membres du couple. Le
« couple » du travailleur et de l’employeur procède quelque peu de la
même manière, le lien d’emploi ne leur appartient pas totalement et s’impose en
quelque sorte à eux (II).
I. Les termes d’un droit de l’emploi
Déterminer la signification de la notion d’emploi en
droit invite à s’interroger sur sa valeur juridique. Plus particulièrement, la
Constitution fait référence à un droit à l’emploi, qui constitue un droit
fondamental (A). Il apparaît par ailleurs que la notion d’emploi au sein des
droits du travail et des fonctions publiques recouvre des sens divers (B).
A. Le droit à l’emploi comme droit fondamental du travailleur
Selon une conception formelle, le droit à l’emploi
constitue un droit fondamental, car il appartient au bloc de constitutionnalité[15].
Autrement dit, ce droit est placé au sommet de la hiérarchie des normes.
Cependant, ce constat n’épuise pas la question de la nature juridique et du
caractère normatif ou opposable du droit à l’emploi (i). Les classifications usuelles
apparaissent à cet égard bien souvent insuffisantes pour rendre compte de la
nature de ce droit. Le caractère fondamental de ce dernier apparaît bien plus
sûrement lorsque l’on s’intéresse à ses effets (ii).
i) La nature de droit fondamental du droit à l’emploi
La Constitution compte deux occurrences du terme
« emploi »[16]. La
première, l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
(D.D.H.C.), est relative à l’accès aux emplois publics[17]. Cet
article ne consacre donc pas le droit d’exiger ou d’obtenir un emploi (public),
mais bien plus sûrement l’égalité d’accès à ceux-ci. La référence à la notion
d’emploi est en vérité éclipsée par le principe d’égalité, qui domine les
conditions d’accès à la fonction publique[18].
La seconde référence à la notion est l’alinéa 5 du
préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui affirme le droit à
l’emploi[19].
Celui-ci est fréquemment présenté comme un archétype du droit-créance[20].
S’il ne fait guère de doute qu’un tel droit, qui affirme une vocation, ne
puisse être classé au sein des droits-libertés, la catégorie des « droits à » est également
impuissante à rendre compte de ses spécificités. Au moins trois raisons
permettent d’illustrer les insuffisances de cette classification. En premier
lieu, le terme de créance apparaît inadapté à l’objet que constitue l’emploi.
En effet, il n’est pas un bien dont le travailleur peut disposer librement,
voire même céder. En deuxième lieu, il est habituellement affirmé qu’un droit-créance
n’est pas un droit justiciable devant une juridiction. Or, le droit à l’emploi
apparaît aussi bien dans les motifs de décisions du Conseil constitutionnel[21] que
dans certains arrêts de la Cour de cassation[22]. En
troisième lieu, la classe des droits-créances ne rend pas compte de la double
dimension du droit à l’emploi[23], qui
dans un même mouvement constitue un objectif macro-économique (le plein-emploi)
et un objectif microéconomique, c’est-à-dire « assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi »[24].
La fondamentalité du droit à l’emploi, plus que de
l’appartenance à telle ou telle autre classe, ressort de manière plus certaine
lorsque sont analysés ses effets.
ii) Les effets du droit fondamental à l’emploi
L’étude de la jurisprudence constitutionnelle permet de
déceler au moins trois effets attachés au droit à l’emploi[25].
Le premier effet du droit à l’emploi est la
légitimation des dispositifs législatifs. Ainsi, est-il invoqué pour justifier
les politiques préférentielles en faveur des seniors ou des jeunes[26]. Le
Conseil constitutionnel considère alors ces dispositifs directement justifiés
par l’intérêt général. L’aide apportée aux populations qui rencontrent des
difficultés pour sortir du chômage est un moyen de concrétiser l’accès à
l’emploi. Cependant, la justification tirée de l’intérêt général emporte
l’abandon de l’appréciation de la pertinence du dispositif au législateur.
Ainsi, la création d’emplois a-t-elle été mobilisée pour légitimer des
dispositifs aussi différents que les réformes de réduction du temps de travail,
qui visent le partage du temps de travail et de l’emploi[27] et
l’incitation de recourir aux heures supplémentaires[28].
Le deuxième effet du droit à l’emploi est de constituer
un obstacle, une limite aux autres droits fondamentaux. Ainsi, le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 12 janvier 2002, affirme : « Considérant qu’il incombe au législateur,
dans le cadre de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution
pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, d’assurer la
mise en œuvre des principes économiques et sociaux du Préambule de la
Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les libertés constitutionnellement
garanties ; que, pour poser des règles propres à assurer au mieux, conformément
au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour
chacun d’obtenir un emploi, il peut apporter à la liberté d’entreprendre des
limitations liées à cette exigence constitutionnelle, à la condition qu’il n’en
résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi »[29].
Le juge constitutionnel doit alors opérer un contrôle
de proportionnalité afin de concilier les deux droits ou libertés fondamentaux.
En outre, si par extraordinaire, le législateur cherche à supprimer tout
service public de l’emploi, le Conseil constitutionnel disposerait avec le
droit à l’emploi d’un outil à même de faire échec à un tel projet[30]. La
Cour de cassation n’hésite plus, par ailleurs, à recourir au droit à l’emploi
afin de le concilier avec la liberté d’entreprendre. Ainsi, la juridiction
judiciaire a jugé l’article L.1235-3 du Code du travail, qui permet à
l’employeur de refuser la réintégration du salarié licencié sans cause réelle
et sérieuse, conforme à l’article 6. 1 du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 et à l’article 1er
du protocole additionnel n°1 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales[31].
Le dernier effet du droit à l’emploi tient du domaine
de l’interprétation. Ainsi, il permet de donner sens à certains dispositifs. À
titre d’illustration, le Conseil constitutionnel considère que le droit au
reclassement des salariés découle directement du droit à l’emploi[32],
alors que précédemment la Cour de cassation justifiait la consécration d’une
obligation de reclassement pesant sur l’employeur par le recours à l’alinéa 3
de l’article 1134 du Code civil[33].
L’évolution ainsi opérée quant au fondement du droit au reclassement modifie
son sens, car d’une obligation contractuelle à l’encontre de l’employeur il
devient un droit fondamental du salarié. Le droit à l’emploi est sans conteste
un droit fondamental, compte tenu de ses effets et de son inscription dans le
bloc de constitutionnalité. Néanmoins, l’emploi n’est pas un « bien »
qui serait à la disposition du travailleur. Le droit à l’emploi constitue une
vocation à accéder à une activité laborieuse, à laquelle est attaché un statut.
Ce droit est alors cantonné aux salariés et aux agents publics, qui seuls
occupent un emploi. Cependant, la notion d’emploi recèle différents sens au
sein des droits du travail et des fonctions publiques.
B. Les usages de la notion d’emploi
L’offre d’emploi est fonction des besoins de
l’employeur, public comme privé. Dès lors, la notion d’emploi pourrait être un
instrument entre les mains de l’employeur[34].
Toutefois, il apparaît que cette notion, tant en droit du travail qu’en droits
des fonctions publiques, n’est pas entièrement à la disposition de l’employeur.
Trois usages de la notion permettent de souligner l’encadrement du pouvoir de
l’employeur dans la définition de l’emploi. Il s’agit de l’emploi comme poste (i) ;
l’emploi comme intérêt (ii) et l’emploi comme état (iii).
i) L’emploi comme poste
Si le droit constitutionnel à l’emploi concerne
essentiellement l’accès au travail subordonné, la notion d’emploi en droits du
travail et des fonctions publiques vise souvent le poste occupé. Une telle
définition est très importante en pratique, car elle recouvre la description
des tâches qui peuvent être exigées du travailleur. Elle lie ainsi l’expression des besoins d’activité de l’employeur.
Ainsi,
lors de la conclusion du contrat de travail les parties doivent-elles
déterminer les qualifications du salarié en référence aux classifications
conventionnelles. De même,
au sein des fonctions
publiques, l’Etat
détermine les classifications par décret, ce qui vaut « autoliaison » pour la fonction publique d’Etat
et liaison des autres pouvoirs publics pour les fonctions publiques
territoriale et hospitalière. Ces classifications au regard, soit de la
qualification du salarié[35], soit du grade ou du cadre d’emploi du
fonctionnaire[36], encadrent le pouvoir de l’employeur,
qui ne peut exiger que certaines tâches déterminées et ne peut affecter le
travailleur que sur les postes qui y correspondent. L’expression du besoin
d’emploi de l’employeur est ainsi encadrée.
Par
ailleurs, la notion d’emploi comme poste constitue une clé d’entrée utile pour
les droits européens. En effet, dans la répartition des compétences entre
institutions européennes et nationales, il est nécessaire de déterminer les
emplois publics, qui de par leur nature, échappent à l’emprise des droits
européens. Les juges européens ont retenu la notion d’emploi comme poste, qui
leur permet un découpage fin entre les différentes activités considérées. Une
telle définition a permis à la C.J.U.E. de limiter la liste des emplois dont
l’accès est interdit aux travailleurs communautaires migrants[37] et à la C.E.D.H. de cantonner plus
strictement les emplois dont les contestations échappent à l’emprise de
l’article 6§1 de la Convention européenne[38]. La notion d’emploi comme poste est
alors instrumentalisée pour restreindre les domaines du droit national.
Enfin, le
droit antidiscriminatoire illustre, également, une nouvelle dynamique à l’usage
de la notion d’emploi comme poste. En particulier, à propos du critère du
handicap, la directive européenne donne une nouvelle dimension à l’accès à
l’emploi des personnes handicapées[39]. Il ne s’agit plus seulement
d’affirmer solennellement l’égalité d’accès des personnes handicapées aux
emplois et aux compétences, ou de fixer des « quotas » obligatoires à
l’encontre des employeurs. La démarche est désormais plus concrète. L’article 5
de la directive, transposé et codifié à l’article L.5213-6 du Code du
travail, prévoit l’obligation
d’aménagements raisonnables[40]. Ceci implique que, dorénavant,
l’employeur doit rechercher à adapter le poste au handicap et non l’inverse. Ce
faisant, le poste doit être adapté en considération du handicap particulier du
candidat à l’emploi ou du salarié de l’entreprise. Si la détermination du
besoin d’activité de l’entreprise ou de l’administration appartient, de manière
évidente, toujours à l’employeur, la définition du poste est pour partie
déterminée par la situation personnelle du salarié.
Les
usages du terme emploi ne recouvrent pas seulement la description de l’activité
et des conditions de sa réalisation. Il peut également représenter un intérêt
spécifique.
ii) L’emploi comme intérêt
L’emploi
comme intérêt a une double dimension[41]. D’une part, il constitue un intérêt
des travailleurs externe à l’employeur, comme le plein emploi, qui est un
objectif national et européen[42]. D’autre part, il peut constituer un
intérêt des travailleurs interne à l’entreprise. À cet égard, le comité
d’entreprise doit être consulté sur la structure des effectifs[43], qui permet de connaître l’état de
l’emploi dans l’entreprise. Dans le même sens, les comités techniques de la
fonction publique d’Etat connaissent des questions relatives « aux effectifs,
aux emplois et aux compétences, des projets de statuts particuliers »[44]. Dans tous les cas, l’emploi constitue
un objet de l’intérêt collectif des travailleurs.
Dans le
cadre de cette double dimension, la Cour de cassation a eu l’occasion
d’affirmer que l’emploi appartient nécessairement à l’intérêt collectif des
salariés. Ainsi, le licenciement économique d’un seul salarié, malgré
l’incidence individuelle de la mesure, relève par nature d’un intérêt collectif[45]. Le système français des fonctions
publiques, quant à lui, est fondé sur une logique de carrière : le
fonctionnaire est titulaire de son grade, en aucun cas de son emploi. Le
fonctionnaire ne peut jamais exiger de conserver le poste auquel il était
précédemment affecté. D’ailleurs, les seuls emplois fondés sur une
« logique d’emploi », c’est-à-dire lorsque l’agent public est recruté
pour occuper un poste en particulier, comme les membres des cabinets
ministériels, leur situation est caractérisée par la précarité : ils peuvent
être congédiés à tout moment et de manière discrétionnaire[46]. Bien qu’il puisse ressortir de ce
système l’impossibilité d’appropriation de l’emploi par le fonctionnaire, il
n’en demeure pas moins que la question de l’emploi représente un intérêt
collectif de ces travailleurs : ne peuvent-ils pas faire grève pour la
préservation du nombre de fonctionnaires[47] ?
En sus,
depuis la réforme relative au dialogue social dans la fonction publique[48], les fonctionnaires et les salariés
ont désormais en commun l’emploi comme objet de négociation. En droit du
travail, les clauses de maintien de l’emploi au sein des conventions
collectives constituent bien souvent la contrepartie de remises en cause de
certains avantages conventionnels dans le cadre de négociation
« donnant-donnant ». Ces clauses constituent alors une justification
des concessions des représentants des salariés[49]. Ces pratiques soulignent le caractère
essentiel de la préservation de l’emploi, ce qui explique que celui-ci relève
par nature de l’intérêt collectif des travailleurs.
La
doctrine travailliste a forgé une troisième acception de la notion d’emploi.
iii) L’emploi comme état
Dans une
dernière acception, l’emploi peut être défini comme l’état du travailleur, à
l’image du mariage qui constituerait l’état matrimonial des époux[50]. Dans cette perspective l’emploi
représente l’ensemble des droits, individuels comme collectifs, qui sont
attachés à la condition de travailleur. L’emploi comme état renvoie donc au
statut applicable aux travailleurs. De ce point de vue, la fonction publique
n’est pas en reste : les fonctionnaires, à la suite de leur nomination,
relève de l’un des statuts des fonctions publiques. Dans le même sens, en droit
du travail, l’emploi comme état recouvre alors l’ensemble des droits légaux,
réglementaires et conventionnels qui s’imposent aux parties du contrat de
travail. La notion d’emploi échappe alors à l’employeur.
De ces
trois acceptions, qui mêlent des droits individuels comme collectifs, ressort
une conclusion : l’employeur n’a pas une entière disposition de l’emploi,
car non seulement il doit se plier à des cadres prédéfinis (les
classifications) pour exprimer son besoin d’emploi, mais en outre l’emploi
représente un intérêt qui ne lui appartient pas en propre et avec lequel il
doit concilier. Enfin, l’emploi peut être entendu comme un état, c’est-à-dire
un ensemble de droits et d’obligations qui s’imposent à l’employeur. Ainsi,
l’emploi, au travers de ces différents usages, apparaît-il comme un objet qui
n’appartient ni complètement au travailleur ni à l’employeur. Aucune des
parties à la relation de travail n’a une pleine maîtrise sur l’emploi. C’est
alors un « objet juridique partagé ». La comparaison des droits du
travail et des fonctions publiques invite donc à analyser l’emploi non comme un
objet d’appropriation, mais comme un lien.
II. La grammaire d’un droit de l’emploi : le lien juridique d’emploi
Le lien
est ce qui réunit, ou tout du moins ce qui suppose un rapport[51]. Le lien juridique d’emploi vise la
relation entre un travailleur et son employeur. Il a pour objet une activité professionnelle
particulière : l’activité subordonnée (A). L’un des traits les plus
saillants du droit de l’emploi est la recherche du maintien dans l’activité du
salarié, c’est-à-dire la pérennité du lien (B).
A. La nature du lien juridique d’emploi
Le lien juridique d’emploi, tant en droit du travail
qu’en droits des fonctions publiques, est caractérisé par une relation de
pouvoir de l’employeur sur le travailleur. Ce lien vise par essence le travail
du salarié au profit de l’employeur (i). Toutefois, le lien juridique d’emploi
n’est pas réductible à l’activité professionnelle (ii).
i) Un lien de subordination
De
manière classique, le critère distinctif du contrat de travail est le lien de
subordination. La Cour de cassation le définit de la manière suivante : « le lien de subordination
est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui
a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution
et de sanctionner les manquements de son subordonné »[52].
De même, en matière de fonction publique, la relation
d’emploi est caractérisée par la subordination du travailleur. Les droits des
fonctions publiques sont, de manière classique en droit administratif, soumis à
l’empire de l’unilatéralisme et de l’exercice du pouvoir. À titre
d’illustration, l’employeur public nomme unilatéralement le fonctionnaire. Ce
dernier doit respecter les directives qui lui sont données, il est soumis au
contrôle de son supérieur hiérarchique et peut être sanctionné en cas de faute.
L’employeur public exerce un pouvoir hiérarchique sur les agents publics[53].
La subordination caractérise alors le lien juridique
d’emploi et légitime dans le même temps le pouvoir de l’employeur. Or, ce
pouvoir ne saurait être absolu, il est donc nécessaire de l’encadrer. C’est
certainement en considération de la soumission volontaire du salarié que le
juge refuse que la qualification du lien de subordination soit abandonnée aux
parties[54].
Dans le même sens, le législateur dans le livre VII du Code du travail a dressé
un ensemble de cas, où la qualification ou l’assimilation au contrat de travail
est directement posée par la loi elle-même. Une telle pratique se retrouve à
propos de certains agents publics : ainsi dans les cas de privatisations
d’entreprises publiques, les agents publics conservent du fait de la loi, leurs
qualités[55].
L’encadrement de la qualification du lien juridique d’emploi permet d’assurer
dans un même mouvement la subordination du travailleur et l’encadrement des
pouvoirs de l’employeur. Le travailleur et l’employeur ne peuvent s’entendre
pour échapper aux statuts applicables.
Par ailleurs, certains auteurs refusent d’étendre la
notion d’emploi aux travailleurs intérimaires ou à contrat à durée déterminée[56].
L’emploi correspondrait alors à un modèle : le travail à temps complet à
durée indéterminée[57].
Toutefois, ces travailleurs, qu’ils soient salariés ou agents publics non
statutaires, sont également subordonnés à l’employeur. C’est précisément la
brièveté du lien juridique d’emploi, qui caractérise la précarité de leur
situation[58],
qui justifie les restrictions au recours à ce type d’emploi et les règles
protectrices posées par le législateur[59].
C’est donc la considération de la nature du lien d’emploi qui détermine
précisément le régime applicable.
Le lien juridique d’emploi vise l’activité
professionnelle. Néanmoins, en raison du statut qui lui est attaché, une
déconnexion avec l’activité professionnelle est, dans certains cas, possible.
ii) La déconnexion de l’emploi et de l’activité professionnelle
Paradoxalement,
le lien d’emploi n’est pas réductible au temps de l’activité professionnelle.
Les droits du travail et des fonctions publiques marquent ici leur émancipation
vis-à-vis du droit civil. Ce dernier, s’il était appliqué à la relation d’emploi,
emporterait en cas d’inexécution de la part du travailleur la résolution
éventuelle du contrat. Or, les droits du travail et des fonctions publiques
prévoient dans un certain nombre de situations, lorsque le salarié n’accomplit
pas son travail, que cela n’emporte pas rupture du lien d’emploi, mais
suspension de celui-ci.
En cas de
maladie ou de maternité, notamment, les salariés et les fonctionnaires, qui ne
sont plus en capacité de travailler, voient leur relation d’emploi suspendue.
Il existe des cas où la suspension peut être volontaire et à l’initiative du
travailleur. Ainsi, le fonctionnaire peut-il solliciter une mise à disposition
ou un détachement, à l’issue duquel il pourra retrouver un emploi qui
correspond à son grade[60]. De même, la grève ne rompt plus le
lien d’emploi, mais le suspend[61].
Un autre
cas, dérogatoire à la logique du droit des obligations, consacre le maintien du
lien juridique de l’emploi. Il s’agit du régime juridique du transfert
d’entreprise, qui vise à maintenir le lien d’emploi avec un nouvel employeur[62]. En particulier, le travailleur
conserve son ancienneté et les droits qui y sont attachés.
Le lien
d’emploi dépasse donc les cadres de l’activité professionnelle. Ce faisant les
statuts attachés à l’emploi convergent vers un objectif commun : rendre le
lien d’emploi pérenne.
B. La pérennité de lien juridique d’emploi
Le lien
juridique d’emploi est intimement lié au temps qui s’écoule. C’est un lien qui
vise à durer : le modèle du contrat de travail est à durée indéterminée[63] ; les fonctionnaires sont
recrutés le temps de leur carrière[64]. Avec la longévité du lien d’emploi
s’accroissent les droits des travailleurs. Dans la période initiale de la
relation d’emploi, le fonctionnaire est en stage et le salarié peut se
retrouver en période d’essai. Dans ces conditions, ils peuvent tous deux être
révoqués sans application du régime propre au licenciement. C’est un temps
dérogatoire, au cours duquel l’employeur évalue les compétences
professionnelles du travailleur. À l’issue de ces périodes de
« test professionnel », les relations d’emplois ont
véritablement vocation à devenir pérennes.
Par la
suite, aussi bien en droit du travail qu’en matière de fonction publique, un
certain nombre d’avantages sont attachés à l’ancienneté[65]. Au-delà de ces avantages attachés à
la durée du lien d’emploi, un certain nombre de dispositifs visent à assurer la
pérennité du lien d’emploi. Il existe au moins deux types de mesures :
celles qui visent à éviter la rupture du lien et celles qui agissent en amont.
Premièrement,
le régime applicable au licenciement, tant en droit du travail qu’en droits des
fonctions publiques, vise à limiter les ruptures à l’initiative de l’employeur[66]. Dans le même sens, l’obligation de
reclassement vise à maintenir le travailleur dans le lien d’emploi, mais pas
nécessairement sur le même poste[67]. Néanmoins, ces dispositifs n’ont pas
vocation à rendre la rupture impossible, ils visent plus modestement à éviter,
dans la mesure du possible, de rompre le lien juridique d’emploi.
Deuxièmement,
certains dispositifs visent à anticiper toute cause qui pourrait mener à la
rupture du lien d’emploi. Ainsi, les salariés et les fonctionnaires disposent
d’un droit individuel à la formation[68]. Celui-ci leur permet, notamment, de
s’adapter aux évolutions de leur emploi et d’éviter toute inaptitude
professionnelle qui mènerait l’employeur à les licencier. Dans le même sens,
l’obligation d’adaptation[69] qui pèse sur l’employeur, oblige ce
dernier à veiller à ce que ses salariés soient toujours aptes à répondre aux
exigences du poste qu’ils occupent. Une telle obligation d’adaptation
apparaît également dans le projet de décret « relatif à la situation de réorientation professionnelle des
fonctionnaires de l’Etat ». Celui-ci prévoit, en cas de fermeture de
service, l’obligation de rechercher des possibilités de reclassement, voire
d’adaptation, en faveur des fonctionnaires concernés[70].
L’ensemble
de ces dispositifs vise à assurer la pérennité du lien d’emploi, soit en
limitant les cas de rupture, soit en mettant en place des dispositifs
« d’activation », qui permettent d’anticiper sur les difficultés à
venir. Toutefois, ils ne visent pas à interdire toute rupture, ce qui serait
contraire à nombre de principes fondamentaux, dont notamment la prohibition des
engagements perpétuels.
Les
droits du travail et des fonctions publiques ne semblent pas dominés par le
droit à l’emploi, qui vise essentiellement l’accès au statut de salarié ou de
fonctionnaire. Néanmoins, l’emploi constitue une notion utile pour décrire le
lien particulier qui unit l’employeur et le travailleur de droit public et
privé. Le lien juridique d’emploi permet d’étudier les convergences entre le
droit du travail d’un côté et les droits des fonctions publiques de l’autre. Il
dessine alors les contours d’un socle commun des droits des travailleurs, dont
les pierres angulaires seraient la subordination juridique et la pérennité du
lien d’emploi.
[1] Lyon-Caen Gérard,
« Le droit et l’emploi », Receuil
Dalloz 1982, Chron.XXII p.133.
[3] Nous employons ce terme dans un sens large qui vise
l’ensemble des travailleurs subordonnés, c’est-à-dire les salariés comme les
agents publics, statutaires ou non.
[4] Voir notamment Cahuc
Pierre, Kramarz Francis,
De la Précarité à la Mobilité : vers une Sécurité Sociale Professionnelle,
rapport au Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et au
Ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion Sociale, Paris, La documentation
Française, 2005 et le livre vert de la Commission européenne du 22 novembre
2007, Moderniser le droit du travail pour
relever les défis du XXIe siècle.
[5] À propos de cette conciliation ou confrontation, voir
l’échange de points de vue entre Bertrand
Xavier et Grumabch Tiennot,
« Les réformes actuelles ont-elles une unité ? », R.D.T. 2008, p.354.
[6] Vincens Jean,
« La notion d’emploi. De l’économie au droit », in Mélanges dédiés au président Despax ;
Toulouse, P.U.S.S. ; 2002 ; p.182.
[7] Melleray Fabrice,
Droit de la fonction publique ;
Paris, Economica ; 2005 ; p.39.
[8] Gazier François,
La fonction publique dans le monde ;
Paris, Puf ; 1972 ;
p.22.
[9] Melleray Fabrice,
« Les réformes en cours de la fonction publique remettent-elles en cause
le compromis de 1946 ? »,
R.D.P., 2006, p.185.
[10] Voir en particulier A.P. 27 février 2009, Bull. A.P., 2009, n°2. Dans cet arrêt,
les juges appliquent le principe d’égalité entre fonctionnaires et salariés de
la Poste.
[11] Voir respectivement, supra, les articles deTissandierHélène & Mihman Nathalie.
[12] A propos du principe d’égalité de traitement appliqué dans
un même mouvement aux salariés et aux fonctionnaires de la Poste, voir A.P. 27
février 2009, v. notre thèse, L’égalité
en droit social – au prisme de la diversité et du dialogue des juges, Paris
Ouest Nanterre la Défense, 2010, p.384.
[13] Maestre Michel,
« Le couple dans tous ses états », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2009,
p.334.
[14] Robert Philippe,
« Les liens de couple », Revue
de psychothérapie psychanalytique de groupe ; 2005.216.
[15] Champeil-Desplats
Véronique, « Les droits et libertés fondamentaux en France – Genèse
d’une qualification » in Lyon-Caen Antoine et Lokiec Pascal (dir.), Droits fondamentaux et droit social ;
Paris, Dalloz ; 2005, p.27.
[16] Il convient d’ajouter que l’article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne relatif à la liberté professionnelle et au droit de travailler
vise expressément « la liberté de
chercher un emploi… dans tout Etat membre » en faveur des citoyens
de l’Union.
[17] L’article 6 dispose : « … Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux
sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon
leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs
talents ».
[18] Chapus René,
Droit administratif général ;
Paris, Montchrestien ; 2001 ; Tome 2, p.134.
[19] Cet alinéa dispose : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un
emploi… ».
[20] Cohen Dany,
« Les droits à…» in L’avenir du
droit, Mélanges en hommage à François Terré ;
Paris, Dalloz, Puf ;
1999 ; p.393.
[23] Lyon-Caen Antoine,
« L’emploi comme objet de la négociation collective », Droit social 1998, p.316.
[24] C.const. 28 mai 1983, D.C. n°83-156, loi portant
diverses mesures relatives aux prestations de vieillesse (considérant n°4).
[25] Jeammaud Antoine,
Le Friand Martine, « L’incertain
droit à l’emploi » inTravail,
genre et société 1999, n°2, p.29.
[26] Voir par exemple exemple C. const. 30 mars 2006, D.C.
n°2006-535, loi n° 2006-396 du 31 mars
2006 pour l’égalité des chances.
[27] C. const. 13 janvier 2000, D.C. n°99-423, loi relative
à la réduction négociée du temps de travail (considérant 27) et C.const. 10
juin 1998 D.C. n° 98-401, d’orientation et d’incitation relative à la
réduction du temps de travail (considérant 26).
[28] C. const. 16 août 2007, D.C. n°2007-555, loi n°
2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir
d’achat.
[29] C. const. 12 janvier 2002, D.C. n°2001-455, loi de
modernisation sociale (considérant n°46).
[30] Voir en ce sens Jeammaud
Antoine, Le Friand Martine,
« L’incertain droit à l’emploi »
in Travail, genre et société 1999,
n°2, p.29.
[31] Soc. 14 avril 2010, Bull. civ. V, 2010, n°96.
[32] C.const. 13 janvier 2005, D.C. n°2004-509, loi de
programmation pour la cohésion sociale (considérant 28).Voir
II, B.
[33] Soc. 8 avril 1992, J.C.P.
E 1992, II.360, note J. Savatier.
Voir également Lyon-Caen Antoine,
« Le droit et la gestion des compétences », Droit social 1992, p.573.
[34] En droit privé, le contrat de travail est souvent
présenté comme un exemple de contrat d’adhésion, car bien souvent c’est
l’employeur qui rédige unilatéralement les clauses du contrat. En matière de
fonctions publiques, il appartient à l’autorité publique, par un acte
unilatéral, de nommer le fonctionnaire. Cet unilatéralisme pourrait mener à
penser que l’employeur détermine seul les caractéristiques de l’emploi.
[35] Voir par exemple Soc. 10 mai 1999, Bull. Civ. V, 1999, n°145.
[36] Le grade (cadre d’emploi pour la fonction publique
territoriale) est « le titre qui
confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui lui
correspondent », cf. article 12 de la loi n°83-26 du 19 janvier 1983
modifiant l’ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des
fonctionnaires.
[37] Voir par exemple C.J.C.E., 12 février 1974, Sotgiu, Rec. 1974, p. 153 et C.J.C.E., 3
juin 1986, Comm. c/ France, Rec.
1986, p. 1275.
[38] Cedh, Grande chambre, 8 décembre 1999, Pellegrin c. France,
req. n°28541/95.
[39] Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000
portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en
matière d’emploi et de travail.
[40] L’article dispose : « Afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à
l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus.
Cela signifie que l’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des
besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée
d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation
lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge
disproportionnée. Cette charge n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est
compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la
politique menée dans l’Etat membre concerné en faveur des personnes handicapées ».
[41] Gaudu François,
« La notion juridique d’emploi en droit privé », Droit social, 1987, p.415.
[42] L’article 3 du Traité sur l’Union dispose :
« 3. L’Union établit un marché
intérieur. Elle œuvre pour … une économie sociale de marché hautement
compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social… ».
[44] Voir l’article 15 de la loi n° 84-16 du 11 janvier
1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat.
Domaine conservé par la loi du 5 juillet 2010, relative à la rénovation du
dialogue social.
[45] Soc. 22 novembre 1995, Bull. Civ., 1995, n°307. Il s’agissait d’une grève contre un
licenciement économique individuel. Les juges ont estimé qu’il s’agissait bien
d’une revendication professionnelle qui touchait à la question de l’emploi et
n’était pas réductible à un mouvement de solidarité.
[46] Il s’agit d’emploi à la discrétion du gouvernement cf.
loi n°84-16 du 11 janvier 1984 dite « Le
Pors » portant dispositions
statutaires relatives a la fonction publique de l’Etat.
[47] Il suffit de songer aux grèves et manifestations des
fonctionnaires contre les réductions d’effectifs dans les différents corps et
ministères.
[48] Loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 relative à la
rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à
la fonction publique. Voir l’article de Ferkane
Ylias, supra.
[49] Lyon-Caen Antoine,
« L’emploi comme objet de la négociation collective », Droit social 1998, p.316.
[50] Voire Katz
Tamar, La négociation collective et
l’emploi, L.G.D.J. ; 2007 ; coll. Bibliothèque de droit
social ; dans le même sens voire Durlach-Vallerin
Emilie, Droit à l’emploi et droit du
travail, Thèse de doctorat, Paris X Nanterre, 2006.
[51] Voir le Trésor de la langue française informatisé, cf.
http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.
[52] Soc. 13 novembre 1996, Bull. Civ. V, 1996, n°386.
[53] Melleray Fabrice,
Droit de la fonction publique ;
Paris, Economica ; 2005 ; p.327. Voir également le dossier « Le
pouvoir hiérarchique dans l’administration », C.F.P., mai 2003, p.4.
[54] Soc. 19 décembre 2000, Bull. Civ., V, 2000, n°437 et A.P. 4 mars 1983, Bull. A.P., 1983, n°3.
[55] Voir par exemple Jean-Pierre
Didier, « La loi France Télécom et la fonction publique », J.C.P.A. ; 2004 ; p.579.
[56] Voir Gaudu François,
« La notion juridique d’emploi en droit privé », Droit social, 1987, p.415 et Katz
Tamar, La négociation collective et
l’emploi, L.G.D.J, 2007, coll. Bibliothèque de droit social.
[57] Selon l’article L. 1221-2 du Code du travail :
« Le contrat de travail à durée
indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail ».
Dans le même sens, le fonctionnaire est recruté, en principe, pour tout le
temps de sa carrière professionnelle.
[58] Martinon Arnaud,
Essai sur la stabilité du contrat de
travail à durée indéterminée ; Paris, Dalloz ; 2005.
[59] Daïoglou Hélène,
La gestion de l’emploi précaire dans la
fonction publique : vers une logique d’emploi privé ; Aix-en
Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille ; 2009.
[61] Selon l’article L.2511-1 du Code du travail :
« L’exercice du droit de grève ne
peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au
salarié ».
[62] Voir la contribution de Tissandier Hélène, supra.
[63] Voir l’article L. 1221-2 du Code du
travail précité.
[64] Melleray Fabrice,
« Les réformes en cours de la fonction publique remettent-elles en cause
le compromis de 1946 ? »,
R.D.P., 2006, p.185.
[65] Primes ou acquisition d’échelons, par exemple.
[66] La garantie d’emploi dans les fonctions publiques
n’exclut véritablement que les licenciements économiques. En revanche, les
fonctionnaires peuvent toujours être licenciés pour inaptitude professionnelle,
inaptitude physique ou abandon de poste, cf. Dord
Olivier, Droit de la fonction
publique ; Paris ; Puf ;
2007, p.159.
[67] À propos du droit au reclassement, voir I. A, supra.
[68] Voir la loi n°2004-391 du 4 mai 2004 relative à la
formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social et la
loi n°2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique
(article 4).
Madame, Monsieur, chères & chers lectrices & lecteurs des ouvrages des Editions L’Epitoge, atelier permanent du Collectif L’Unité du Droit (Clud), tout d’abord MERCI(S) de votre fidélité à nos livres, à nos auteur.e.s et à nos quatre collections (rouge, verte, noire & violette). Les Editions l’Epitoge, fondées en 2012 par le conseil d’administration du Clud proposent désormais à la vente – grâce à la diffusion des Editions partenaires Lextenso – près d’une cinquantaine d’ouvrages dont nous sommes heureux et fiers.
Concrètement, ce sont au 25 mars 2020 :
58 ouvrages publiés ou en cours de publication(s) & de projet(s)
4 collections et 1 ouvrage « hors collection »
et surtout ….
683 auteur.e.s publié.e.s ou en cours de publication dans nos collections !
Parmi l’ensemble de ces ouvrages et de ces contributeurs, le Collectif l’Unité du Droit a décidé de publier et de mettre en ligne – en accès libre – pendant plus de deux mois, chaque jour, sur son site Internet 75 contributions et présentations et ce, afin de participer – comme d’autres maisons d’édition – à l’effort de diffusion gratuite des connaissances en ces temps de confinement.
Vous pourrez ainsi bientôt découvrir selon le calendrier et les rythmes suivants chaque jour de la semaine du 25 mars au 07 juin 2020 :
tous les mercredis : un ouvrage présenté issu de nos collections ;
tous les jeudis : une contribution mettant en avant l’histoire ou les histoires du Droit ;
tous les vendredis : un article issu de Mélanges et/ou de volumes académiques ;
tous les samedis (week-end oblige) : une mise en avant du Droit dans une ou plusieurs séries télévisées ;
tous les dimanches (en voyage) : un détour vers la Méditerranée (et le droit public) ;
tous les lundis : la mis en avant de l’un.e de nos auteur.e.s ;
tous les mardis (c’est permis !) : l’une de nos pépites sélectionnées !
En vous souhaitant de belles lectures (confinées) ! Pr. M. Touzeil-Divina Président du Collectif L’Unité du Droit
Image d’illustration issue d’une œuvre de M. Jacques Schneider (c) pour le Collectif L’Unité du Droit.