Voici la 7e publication offerte dans le cadre des 75 jours confinés des Editions L’Epitoge. Il s’agit d’un extrait du 10e livre de nos Editions dans la collection dite verte de la Revue Méditerranéenne de Droit public publiée depuis 2013.
L’extrait choisi est celui de l’article – ô combien d’actualité – de l’un des trois coordinateurs de l’ouvrage (M. Touzeil-Divina, A. Lami & M. Eude) dont il est issu : le volume consacré à l’Arbre, à l’Homme et au Droit. Il a été rédigé par M. Arnaud Lami et s’intitule : « santé des arbres & santé des hommes ».
Cet ouvrage est le dixième issu de la collection
« Revue Méditerranéenne de Droit Public (RM-DP) ».
Volume X :
L’Arbre, l’Homme
& le(s) droit(s)
ouvrage célébrant le 65e anniversaire
de la parution de L’Homme qui plantait des arbres
de Jean Giono & réalisé en hommage
au professeur Jean-Claude Touzeil.
Nombre de pages : 374
Sortie : avril 2019
Prix : 39 €
-ISBN / EAN :
979-10-92684-34-6 / 9791092684346
-ISSN :
2268-9893
Santé des arbres
& santé des Hommes
Arnaud Lami
Maître de conférences de droit public
à l’Université d’Aix-Marseille, Hdr,
Directeur du Centre de Droit de la Santé (Umr Ades),
Laboratoire Méditerranéen de Droit Public
& Collectif L’unité du Droit
« L’arbre est deux fois plus utile que les fruits ».
Ciceron
Chacun d’entre nous a, à un moment de sa vie, eu un lien particulier avec un arbre. L’arbre que nous admirons par la fenêtre et qui nous permet de nous évader de notre quotidien, celui sur lequel nous grimpons pour ramasser ses fruits, et bien évidemment celui qui a supporté avec tant d’abnégation et de patience nos cabanes d’enfants. Arbre de la nostalgie, arbre d’évasion, arbre de vie, autant de qualificatifs qui attestent, pour ceux qui en douteraient encore, que les arbres jalonnent notre quotidien et contribuent, à leur manière, à l’évolution de notre condition. Dans toute sa plénitude, l’arbre a, à n’en pas douter, une fonction particulière qui touche autant au domaine philosophique, sentimental, qu’économique, social ou culturel[1].
Mais comme souvent, dès qu’il s’agit de la nature, l’Homme a tendance à oublier et fait preuve d’ingratitude coupable, donnant ainsi tout son sens à cette célèbre phrase d’Eschyle, selon laquelle : « il est dans la nature de l’Homme de piétiner tout ce qui est à terre ». La fatalité de la vie, le sentiment que l’arbre appartient au lointain passé de l’enfance favorise, quelquefois, sa relégation à un second plan. Les justifications pour couper nos arbres, les ignorer, les laisser pour compte, sans autre justification que la nécessité de satisfaire nos besoins bassement matériels, ne manquent pas (d’avoir une piscine, d’agrandir nos maisons ou de construire des immeubles…). Le paradoxe est ainsi posé, alors qu’il nous permet de nous construire, qu’il nous a élevé et nous élève encore, qu’il est souvent au centre de nos songes, l’arbre nous laisse d’ordinaire indifférent. Il est de fait un accessoire de nos vies, accessoire que l’on utilise à souhait et que l’on sacrifie à loisir sur l’autel de nos besoins. Après tout, le juriste doit-il s’étonner de cette situation ? L’arbre n’est qu’une « chose » et comme toute chose dont la valeur est, a priori, relative il n’est pas au centre des préoccupations de notre quotidien et ne suscite, en conséquence, que peu de considérations. Pourtant, derrière cette fatalité, volontairement provocatrice, l’arbre est, comme l’indique la célèbre formule populaire, une source de vie. Les contes, les histoires, et les mythologies, rapprochant l’arbre et la vie des Hommes sont légions. De la Bible, au Coran, en passant par les légendes celtes, l’arbre n’a cessé d’être spirituellement attaché à la vie des Hommes et, partant, à leur santé. En dépassant ces considérations littéraires, on peut constater que le lien entre l’arbre et la santé est bien réel, même si son identification n’est pas toujours évidente. On retiendra à titre d’exemple que la consommation des fruits – forcément issus des arbres – est recommandée par les pouvoirs publics afin de lutter contre les maladies chroniques. Le principe étant identifié à travers le, bien connu, slogan publicitaire « manger 5 fruits et légumes par jour ».
D’un autre côté, les arbres se voient eux aussi protégés par les Hommes. Les politiques publiques de défense des arbres à travers leur entretien, leur plantation, leur protection, contribuent indubitablement à assurer ce que nous appellerons désormais leur santé.
Le terme de santé, bien identifiable pour l’espèce humaine, peut être jugé surabondant pour les arbres, cela étant d’autant plus vrai lorsque l’on s’attache à leur qualification juridique, ou à l’absence de consécration normative du concept de « santé des arbres ». Il nous faudra considérer la santé des arbres avec une dose d’angélisme, un soupçon d’imagination, mais nécessairement avec clairvoyance.
Afin d’éviter tout méprise, nous partons du postulat que la santé, prise dans son acception la plus large (« sous son angle systémique ») correspond à une approche globale dans laquelle, les facteurs environnementaux jouent un rôle majeur. Il convient de garder à l’esprit que les espèces sont interdépendantes les unes des autres et que toute altération d’un des composants de l’écosystème peut, à un degré ou un autre, se répercuter en cascade sur d’autres composantes de celui-ci.
Malgré quelques relations plus ou moins identifiées, il convient de noter que, le lien entre la santé des Hommes et celle de l’arbre est sociologiquement, médicalement, économiquement, et juridiquement aléatoire et difficile à cerner. En s’en tenant au plan juridique, un rapide regard sur le droit positif français suffit à se convaincre de cet état de fait : les Codes ou la jurisprudence ne font pas grand cas de la relation entre la santé de l’Homme et les arbres. Mais cela ne signifie pas que le juriste ne considère pas ce lien ou qu’il l’ignore, mais seulement qu’il ne le consacre pas de façon directe. La relation entre la santé et l’environnement, abondamment consacrée par les textes internationaux ou internes, pourrait être considérée comme un moyen, détourné, d’affirmer le lien plus ténu entre la santé de l’Homme et l’arbre. Il est d’ailleurs fréquent que les juridictions dans leurs décisions évoquent en même temps la protection de la santé et celle des arbres[2].
Paradoxalement, le droit parait mieux appréhender la protection par les hommes de la santé des arbres. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le seul Code Forestier dont de nombreuses dispositions visent à protéger les arbres. Ces mesures peuvent aller jusqu’à des sanctions pénales pour ceux qui porteraient atteinte à son intégrité[3].
Ainsi posé, la relation entre santé des hommes et des arbres est, pour le juriste, déroutante. La dialectique qu’impliquent la protection de la santé et celle de l’environnement est, en ce domaine, imparfaitement appréhendée. Dans ce mouvement de réciprocité, la santé des arbres à travers l’action des Hommes (I) est autant primordiale que l’action des arbres sur la santé des Hommes (II).
I. L’Homme et la santé des arbres
L’arbre en raison de ses caractéristiques est un élément important de la santé des Hommes. De nombreuses études scientifiques ont démontré que les arbres contribuent, entre autres, à lutter contre les maladies, à soigner, à améliorer la santé mentale, à protéger la biodiversité et, bien évidemment, à lutter contre le réchauffement climatique. Les arbres offrent des bienfaits importants et nombreux. Conscients des enjeux liés à la protection des arbres, les Hommes ont instauré une panoplie des règles visant à les protéger (A). Cependant, les mesures actuelles ne s’avèrent pas toujours suffisantes (B).
A. Le droit protecteur de la santé des arbres
i. La diversité des références juridiques
Historiquement, la France est un état particulièrement sensibilisé à la conservation des arbres et des massifs forestiers. L’Ordonnance royale de Brunoy du 29 mai 1346, invite déjà – dans son article 4 – les exploitants à agir « en regard de ce que lesdites forezs se puissent perpétuellement soustenir en bon estat ». Le bon état, pour ne pas dire la bonne santé de nos massifs, est alors un enjeu public qui sera relayé, au fil des siècles, par une règlementation qui deviendra de plus en plus dense.
Sans qu’il soit utile de faire la généalogie de cette réglementation, déjà excellemment exposée dans les articles de cet ouvrage, il convient néanmoins de constater que celle-ci s’est en partie orientée autour de considérations économiques[4]. La forêt bien précieux est aussi un objet de commerce attirant de nombreuses convoitises et imposant que les autorités publiques en règlementent l’usage commercial. La France s’est dotée, de longue date, d’une abondante règlementation en la matière[5].
Dans un tel contexte, il n’est dès lors pas étonnant que les normes visant à la protection des arbres soient, en l’état actuel du droit, fort nombreuses.
Au titre des symboles particulièrement parlant, on retiendra que l’occurrence « arbre » se retrouve d’ailleurs dans quasiment tous les Codes. A côté des attendus Code civil et Code forestier, d’autres, comme le Code du commerce ou encore celui de la propriété intellectuelle, s’y réfèrent[6]. L’arbre fait donc l’objet de nombreuses attentions juridiques[7]. Le droit des arbres est au final relativement disparate et, à notre sens, pas très bien codifié. Il ressort de ce grand ensemble que « les actions forestières (…) sont censées désormais provenir d’une construction rigoureuse de techniques et de modalités d’intervention permettant à la fois la viabilité économique, l’acceptabilité sociale et la conservation de la biodiversité et des services environnementaux[8] ».
Ces précisions générales amènent à une seconde, spécifique à notre étude : celle de l’absence de l’application de la notion de santé aux arbres. La santé, terme classiquement attaché à l’Homme, n’a pas fait l’objet d’une transposition aux arbres en droit positif. Cela n’a rien d’étonnant tant on sait que le pragmatisme n’est pas forcément favorable à l’extrapolation juridique et encore moins à l’application de concepts humains (comme la santé) à des choses (comme les arbres).
Cependant, à la lecture du droit, il nous paraît que la protection de la santé des arbres, bien que non évoquée en tant que telle, peut être identifiée à travers deux séries de mécanismes : le premier consiste à fixer des règles permettant de le protéger ; le second, qui doit s’envisager en complément du précédent, consiste à instaurer des mécanismes de sanction lorsque l’intégrité de l’arbre est atteinte.
ii. Les modes de protection de la santé des arbres
A l’image des politiques de santé publiques la protection de la santé des arbres peut s’envisager soit de manière individuelle, soit de façon collective en protégeant, par exemple, les espaces boisés.
De manière magistrale, le Code forestier reprenant à son compte certaines dispositions de la loi du 9 décembre 1789, consacre cette idée dans son article L. 112-1. Par une formule forte, ce dernier précise que « Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers ». La Nation est donc la protectrice des arbres. La formule, dont le symbole est important, admet le principe selon lequel la collectivité est garante du bien-être des arbres. Allant encore plus loin, le législateur reconnait, dans ce même article, comme « d’intérêt général… la protection et la mise en valeur des bois et forêts ».
Le principe est non seulement de sauvegarder l’arbre et l’espace boisé, mais également l’écosystème qui l’entoure[9]. La conservation de l’arbre implique donc une approche globale dans laquelle la gestion durable des espaces boisées présente un intérêt tout particulier dans la préservation de toute forme de vie. Le législateur rappelle que les arbres et leurs forêts concourent à fixer les sols, à assurer les ressources en eaux, à fixer le dioxyde de carbone, à lutter contre le changement climatique… L’ensemble de ces éléments contribue, in fine, à garantir la protection des milieux en général, et ceux dans lesquels les individus se meuvent en particulier. L’Homme protecteur devient aussi Homme protégé.
En ce sens, « La gestion durable signifie la gérance et l’utilisation des forêts et des terrains boisés d’une manière et à une intensité telles qu’elles maintiennent leur diversité biologique, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire actuellement et pour le futur les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes, aux niveaux local, national et mondial : et qu’elles ne causent pas de préjudices à d’autres écosystèmes[10] ».
Par un lien causal, la Nation protège les arbres et les arbres quant à eux participent à la protection de ceux qui forment la Nation.
La préservation des arbres, ne se cantonne pas à la seule affirmation qu’il s’agit d’un objet d’intérêt général. En rester là n’aurait conduit qu’à affirmer un principe dont l’effectivité aurait été aléatoire. Le législateur a complété les principes généraux et les déclarations d’intentions par des mécanismes sanctionnant les atteintes au dit principe. Le législateur et la jurisprudence ont créé un véritable arsenal de protection de la forêt, au point que la doctrine n’hésite plus à parler de droit pénal forestier[11]. Une telle qualification n’est pas dénuée de sens si on la considère au regard de l’émergence de mécanismes de sanction exclusivement applicables à la matière forestière et détachés des règles générales applicables en droit pénal.
En ce sens, l’article L. 161-1 du Code forestier définit ce que sont les infractions forestières. Rentrent dans cette catégorie tous les délits et contraventions prévus par le Code forestier et les textes qui en découlent. Les sanctions applicables aux bois et forêts sont entendues de façon extensive. La jurisprudence considère, entre autres, que le droit pénal forestier s’applique au-delà de l’espace planté. La Chambre criminelle indique que l’infraction forestière est caractérisée quand la forêt et son sol sont atteints : « que le sol d’une foret doit s’étendre non seulement de l’espace plante mais aussi, notamment, des cours d’eau qui la bordent[12] ». Le droit pénal forestier protège les forêts et arbres qui la composent contre une série de périls portant atteinte à leur santé. Les incendies[13], la mutilation des arbres (exemple : enlèvement d’écorces), l’arrachage de plants sont de nature à entrainer des condamnations pénales.
Le droit parait bien armé pour protéger la santé des arbres et, partant, celle des hommes. Cependant, ce tableau idyllique masque une autre réalité, celle de la complexité à protéger la santé de l’arbre à une échelle supra nationale.
B. Le droit insuffisamment protecteur de la santé des arbres
i. De nombreuses législations nationales
ignorant la santé des arbres
La protection des forêts et des arbres qui les composent marque de nettes limites dès que l’on sort de nos frontières. Malgré une prise de conscience grandissante sur la nécessité de préserver les arbres, de nombreux Etats sont rétifs à imposer des règles de droit en la matière[14]. Le « droit à la santé des arbres » n’est pas égal en fonction que ces derniers poussent dans un endroit du globe ou dans un autre.
Les considérations économiques et les exigences de croissance ne favorisent pas toujours la préservation des espèces. L’idée que le développement durable puisse être un facteur de développement au sens large du terme n’est pas encore ancrée dans toutes les politiques nationales, ou n’y est ancrée que récemment, ce qui n’a pas permis d’adopter une règlementation suffisamment protectrice. « Souvent des conflits peuvent surgir (…) entre un aménagement forestier à long terme, et les exigences d’une expansion rapide de l’exploitation, ou entre une politique de classement des forêts permanentes et l’exercice de certains droits coutumiers de la population[15] ». Pourtant, les mécanismes de sauvegarde des espaces boisés présentent, sur le long terme, un enjeu central pour le développement d’un Etat et pour la santé de sa population. Quand un Etat ne protège pas ses ressources naturelles, les risques pour la santé de sa population sont réels.
Au terme d’études probantes, les scientifiques ont démontré[16] que la déforestation, constatée dans plusieurs endroits du globe, a des incidences directes sur les modes de vie des populations locales et sur leur santé. Le bouleversement d’un écosystème, imputable à la déforestation, à la suppression d’espèce arboricoles endémiques, prive non seulement les autochtones de la beauté des arbres et de leur cadre de vie – ce qui influe sur leur santé mentale – mais aussi atteint les ressources traditionnellement utilisées pour se nourrir, se vêtir…
La déforestation ou « la mauvaise santé des arbres » favorise également l’apparition de nouvelles maladies voire de pandémies[17].
En Amérique du Sud, « la déforestation de la forêt primaire à des fins de développement agricole et de l’élevage a indéniablement provoqué une augmentation du niveau de vie, mais les populations ont aussi payé un coût important en connaissant une augmentation importante de l’incidence du paludisme[18] ». Malheureusement, le constat ne s’arrête pas à ce seul cas. Les exemples analogues, à travers le monde, sont nombreux et tendent tous vers les mêmes conclusions. Celles que la santé des arbres, ou pire, la vie des arbres, n’est pas suffisamment protégée par les législations nationales et que, partant, ce sont les populations locales qui s’en trouvent atteintes.
Sans que nous puissions davantage insister sur ce point, nous pourrions dire qu’un Etat qui ne protège pas, juridiquement, ses arbres est un Etat qui met sa population en danger. L’immobilisme juridique est, ici, particulièrement coupable.
ii. Un droit international incomplet
La défaillance de nombreux Etats pourrait être palliée par la création d’un droit international forestier. Le principe est d’autant plus séduisant que l’on sait qu’en matière environnementale l’action supra nationale est la plus pertinente[19]. Pourtant, en ce domaine, le cadre juridique international est balbutiant et insuffisant[20]. L’après Seconde Guerre mondiale, qui a marqué un tournant dans les relations internationales, n’a pas mis au centre des débats les questions forestières. Dans les année 1990 les problématiques des gaz à effet de serre[21], de la qualité de l’air, de la pollution, du changement climatique, ont commencé à susciter un vif intérêt de la part de la communauté pour la forêt. Très rapidement, l’arbre, en raison de ses caractéristiques, a été considéré comme un des vecteurs primordiaux permettant de lutter contre ces nouveaux défis environnementaux. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Cnued), tenue au Sommet de Rio en 1992, est le premier acte en la matière. Il a « permis une nette avancée sur les politiques forestières, les pays présents y affirmant leur engagement envers une gestion durable des forêts et adoptant la Déclaration de principes, juridiquement non contraignants, mais faisant autorité pour un consensus mondial sur la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts. Après le Sommet de Rio de 1992, la Fao est intervenue auprès des Etats pour les aider à concevoir, mettre en œuvre ou réviser leur Programme forestier national (Pfn). Dans cette optique le Groupe intergouvernemental des forêts (Gif) a adopté en 1997 des propositions d’action en matière de Pfn[22] ».
L’adoption de nouveaux textes n’a pourtant pas apporté une solution durable et pérenne. Derrière les intentions affichées dès 1992, le droit international s’est montré incapable de créer une stratégie permettant de promouvoir, à l’échelle mondiale, la protection de la santé des arbres. A l’échelle régionale, le droit de l’Union européenne, n’a pas été plus efficace[23]. C’est tout au plus si une stratégie forestière, essentiellement orientée sur des considérations économiques, a été instaurée[24]. De son côté, la jurisprudence européenne s’est montrée très fébrile à envisager le droit forestier[25]. Tempérant cette approche, La Cour de justice des Communautés européennes a toutefois considéré que les deux règlements relatifs à la protection des forêts contre la pollution atmosphérique et contre les incendies constituent des mesures de défense de l’environnement forestier qui, à ce titre, font partie de plein droit des actions de l’Union européenne[26] .
Il semble que les enjeux économiques liés à la ressource forestière aient eu raison de nombreuses tentatives de régulation internationales. La santé des arbres qui devrait, à notre sens, présenter une attention particulière, est ainsi reléguée à un second plan. Dans ce marasme, on retiendra comme lueur d’espoir que la Cour Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, a consacré le fait que « des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l’environnement, en particulier lorsque l’Etat a légiféré en la matière[27] ». Par cette affirmation, la Cedh a fait primer de manière courageuse la protection des arbres sur les intérêts économiques[28].
II. L’arbre et la santé de l’Homme
Par une formule – qui symbolise encore aujourd’hui la méconnaissance ou le mépris du phénomène écologique -, tombée depuis dans la postérité, Ronald Reagan affirmait, il y a plus de vingt ans, que les arbres produisent davantage de pollution aérienne que les usines. La phrase qui prête à sourire montre que l’impact des arbres sur la santé humaine est souvent minoré ou méconnu. Pourtant, les arbres concourent directement ou indirectement à protéger l’espèce humaine contre un nombre important de fléaux (A) Néanmoins, le droit éprouve des difficultés à appréhender ce phénomène (B).
A. L’arbre garant de la santé des Hommes
i. L’arbre au service de la santé des Hommes
La place des forêts dans le monde, quoi qu’importante, reste précaire. Pourtant, comme l’indique la Fao, « Il est important de mettre en valeur et de conserver les terres forestières, voire tout l’espace vert, non seulement pour leur aspect esthétique, mais aussi pour des raisons écologiques, économiques et sociales. En effet les arbres ont toujours été intimement liés à l’évolution de la biodiversité terrestre, surtout l’humanité car l’oxygène, l’eau, les aliments et les médicaments dépendent tous des forêts. Ces dernières constituent l’élément charnière dans l’adaptation et l’atténuation du réchauffement climatique[29] ».
En matière de santé, la forêt occupe une place centrale. Partant, l’importance de la forêt et des arbres pour la santé de l’Homme peut s’envisager à deux échelles.
D’abord, l’arbre influe sur la santé de l’Homme en intervenant sur son environnement[30]. Il intervient sur son écosystème, favorise la diversité des ressources alimentaires, est une source d’énergie… Il est alors possible d’écrire qu’en favorisant la diversité des espèces, l’arbre permet tout simplement d’assurer la vie de l’espèce humaine. « Si la diversité apparaît aussi omniprésente, constamment renouvelée, restaurée après chaque grande crise d’extinction c’est parce qu’elle assure une fonction essentielle pour l’expression et le maintien de la vie. De fait, il n’y a pas de vie sans diversité : c’est une caractéristique intrinsèque du vivant[31]».
Enfin, l’arbre est susceptible d’intervenir directement sur la physiologie de l’Homme. De nombreux médicaments, cosmétiques dispositifs médicaux sont fabriqués à partir d’arbres. On constate également, une augmentation du nombre de pratiques paramédicales utilisant l’arbre comme une source de guérison ou de bien-être[32].
Dans la relation entre la santé de l’Homme et l’arbre, chaque espèce d’arbre joue un rôle, exerce une fonction spécifique. Ce principe a d’ailleurs été théorisé, dans les années 1980, par l’intermédiaire du concept de service écologique, repris depuis dans le droit positif[33]. Le service écologique identifie alors le processus grâce auquel les écosystèmes, avec l’ensemble des espèces, satisfont les besoins des hommes[34]. Dans cette vision « de la nature utile », l’arbre est un acteur majeur dont l’utilité pour la santé n’a cessé de s’accroître.
ii. L’arbre remède aux maux des Hommes
Depuis plusieurs siècles, les civilisations se soignent à l’aide de plantes et d’arbres. Paracelse, au XVe siècle théorisa le principe de la signature, selon lequel chaque végétal en raison de ses caractéristiques intrinsèques est apte à soigner des maux déterminés.
A titre d’exemple, « le saule », arbre qui pousse dans les lieux humides est, en raison de sa signature, capable de soigner les maladies qui s’attrapent par des climats humides ou qui sont imputables à des pieds mouillés[35]. L’explication n’emprunte pas uniquement à l’anecdote historique. L’arbre, et la chose est peu connue, est un élément essentiel de la médecine. Quelques chiffres suffisent à comprendre l’ampleur du phénomène.
Les spécialistes estiment qu’aux Etats-Unis, 25 % des ordonnances prescrites comportent des médicaments dont les principes actifs sont tirés ou dérivés d’arbres et de plantes. En 1990, les médicaments à base d’arbres et de plantes y représentaient un budget de 12,5 milliards de dollars. Quotidiennement de nouveaux médicaments, de nouvelles molécules innovantes sont extraits d’arbres.
Récemment, la découverte du taxol, extrait de l’écorce de l’if du Pacifique, a permis de fournir un composant actif dans un nouveau traitement du cancer du sein et de l’ovaire. Les exemples en la matière sont nombreux et souvent spectaculaires.
Les arbres offrent donc de nombreux remèdes. Ils permettent, dans l’indifférence la plus générale de guérir des maladies, de soigner des pathologies avec une efficacité que les substances chimiques issues de l’industrie n’arrivent pas égaler.
B. L’arbre : un protecteur méconnu de la santé des Hommes
i. Un problème de reconnaissance de l’apport des arbres
Les arbres et les plantes constituent des objets d’études et de développements importants pour la médecine. Contrairement à une idée reçue, les arbres ne se retrouvent pas uniquement dans des médicaments traditionnels, fabriqués au milieu des fioles contenant des serpents, dans des petites échoppes des pays asiatiques. Cette vision, communément admise dans nos sociétés occidentales, ne correspond que peu à la réalité. L’industrie pharmaceutique et les grands groupes qui la composent ont bien compris l’intérêt et la valeur que pouvaient avoir les arbres pour leurs chiffres d’affaires.
Les pays dans lesquels la législation sanitaire est la plus avancée ont quasiment tous admis et réglementé la commercialisation de médicaments à base de plantes et d’arbres. L’Europe n’a pas échappé à la tendance. Le droit de l’Union définit les médicaments à base de plantes (incluant les arbres) comme « tout médicament dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association d’une ou de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes[36] ».
Les médicaments à base de plantes répondent, alors, à une réglementation similaire aux autres médicaments. Les règles de mise sur le marché, les mécanismes de vente, les vigilances sanitaires sont analogues à toutes les spécialités pharmaceutiques[37].
Malgré cette reconnaissance, de nombreux médicaments à base d’arbres sont exclus du marché européen et, plus globalement, des marchés pharmaceutiques occidentaux. Nombreuses sont les règlementations à refuser la commercialisation de médicaments traditionnels. Médicaments qui constituent pourtant la source de l’art médical dans de nombreux pays du monde. Selon certaines estimations, ce sont près de 80% des habitants des pays en développement qui dépendent des médicaments traditionnels dont 50% d’entre eux proviennent de la forêt.
ii. Un problème d’intégration juridique de l’apport des arbres
Les médicaments à base de plantes autorisées par notre droit ne représentent qu’une infime partie de l’immense masse qui rentrent dans la catégorie des produits pharmaceutiques similaires. En effet, de nombreux médicaments, qui sont pourtant fabriqués à partir d’essences naturelles (plantes, arbres…) sont tout bonnement exclus de la législation et par conséquent interdit à la vente dans nos pays. C’est ainsi, que les médicaments traditionnels à base de plantes, dont une partie importante sont issus de la médecine traditionnelle chinoise, peinent à être légalisés. La rigidité de la législation, l’inadéquation de ces spécialités avec les règles de la propriété intellectuelle, sont des obstacles importants pour les fabricants. L’Union européenne, nonobstant l’adoption de la directive du 31 mars 2004, n’a guère favorisé l’ouverture de son marché à ces produits. Les raisons commerciales, qui publiquement laissent place à des arguments de santé publique, expliquent en partie cette posture. Pourtant, à l’image de la Suisse ou de l’Australie, de nombreux pays à travers le monde ont ouvert leur marché aux médicaments traditionnels[38].
Antoine Leca, relève à juste titre « que l’industrie pharmaceutique occidentale, basée essentiellement sur la synthèse chimique, n’a pour l’instant rien de neuf, ni de convaincant à proposer contre plusieurs pathologies. Et l’occident est à la recherche de médicaments moins coûteux. Il y aurait donc de bonnes raisons pour faire collaborer les deux savoirs pharmaceutiques[39] ».
La législation européenne et française rechigne à faire une place plus importante aux médicaments confectionnés à partir d’arbres. La pression des grands groupes pharmaceutiques est sur ce point particulièrement forte. Les enjeux économiques deviennent alors prépondérants face aux possibles bienfaits que pourraient nous offrir ces ressources.
Alors
qu’au moment où nous achevons cette étude notre regard se porte sur le Sapin de
Noël, majestueusement décoré et qui dans quelques jours perdra de sa superbe et
sera relégué au rang de déchet, nous ne pouvons que constater que l’arbre dans
toute sa splendeur et son utilité n’a pas la place qu’il devrait avoir. Souvent
considéré comme un vulgaire objet décoratif, il apparait en réalité bien plus
essentiel que cela dans nos vies.
[1] Benoit Boutefeux, La forêt comme un théâtre ou les conditions d’une mise en scène réussie, Thèse Ens Lyon, 2007 ; Vincent Colson, Anne Marie, Sophie Vanwijnsberghe, Loisirs en forêt et gestion durable, Les Presses agronomiques de Gembloux, 2012 ; Jacques Liagre, « L’accueil du public en forêt : fonction sociale de la forêt française », in, La Forêt et ses enjeux, Presses Universitaires de Perpignan, 1996.
[2] CE, 17 décembre 2018, n°400311.
[3] Voir infra.
[4] Michel Badre, « Gestion et gouvernance forestières : l’évolution de l’action publique », Rev. for. Française, 2007, n° 5, p. 484.
[5] Philippe Lacroix, Jean-Louis Roque, Robert Izard, Michel Lacan, Voyage dans les forêts de l’Hérault : De Saint-Guilhem à l’Espinouse, Broché, 2011.
[6] Claude Durand-Prinborgne, « Aspect contemporain du droit de propriété en matière forestière », Rev. for. Française, déc. 1966, n° 12, p. 761.
[7] Louis Naud, De la protection des forêts, V. Giard et E. Brière, 1907.
[8] Gérard Buttoud, « Débat international sur les forêts et changement d’approche de la gestion de la politique et de la gestion forestière », Revue Forestière, 2007, p. 443.
[9] Michel Prieur, Droit, forêts et développement durable, éd. Bruylant, Bruxelles, 1996.
[10] Conférence interministérielle sur la protection des forêts en Europe, Helsinki juin 1993, résolution H1.
[11] Jacques Liagre, Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.
[12] Cass. crim., 22 févr. 1977, Bull. crim. 1977, n° 71.
[13] Cass. Crim., 21 janv. 2014, n° 13-81.280.
[14] Eric Glond (dir.), Forets et société au Canada, ressources durables ou horreur boréale ?, septentrion, 2008.
[15] Fao, Fao Forets, La législation forestière dans quelques pays africains, Etude 65, 1986, p. 7.
[16] David Braown, Bois légal : vérification et gouvernance dans le secteur forestier, CIFOR, 2009 ; Stéphanie Carrière, Les orphelins de la forets, Ird éd., 2017.
[17] Stéphane Blanc, Gilles Boëtsch, Martine Hossaert-McKey, François Renaud, Ecologie de la santé, Cherche midi, 2017, p. 30.
[18] Actes de la conférence internationale Biodiversité, science et gouvernance, Paris 24-28 juillet 2005, p. 201.
[19] Pierre-Marie Dupuy, « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », Rgdip.,1997, p. 873 ; Maurice Kamto, « Les nouveaux principes du droit international de l’environnement », Rje, 1993, p. 11 ; Raphaël Romi, Droit international et européen de l’environnement, 2e éd , Montchrestien, 2013 ; Michel Pâques, La protection de l’environnement au cœur du système juridique international et du droit interne, acteurs, valeurs et efficacité, Bruylant , 2003.
[20] Stéphane Doumbe-Bille,Lecadre juridique international relatif aux forêts. Etat de développement. Actes du colloque des 5 et 6 décembre 2002. Le droit de la forêt au XXIe siècle – aspects internationaux, Coll. du droit du patrimoine culturel et naturel, L’Harmattan, 2004, p. 121.
[21] D’après de nouvelles recherches, les arbres joueraient un rôle bien plus complexe dans la pollution atmosphérique qu’on ne le pensait précédemment, et certaines espèces aggraveraient même le phénomène.
[22] Jacques Liagre, Bois et Forêts, Jcl. Environnement, 2016, Fasc. n°3725.
[23] Isabelle Michallet, La protection des forêts en droit communautaire. Actes du colloque des 5 et 6 décembre 2002. Le Droit de la forêt au XXIe siècle – Aspects internationaux, L’Harmattan, 2004, p. 169.
[24] Cons. UE, rés. 1999/C 56/01, 15 déc. 1998, relative à une stratégie forestière pour l’Union européenne : Joce n° C 56, 26 févr. 1999, p. 1.
[25] Cjce, 25 fev. 1999 Parlement c/Conseil rec. Cjce 1999, p. 1139.
[26] Ibidem.
[27] Cedh, 27 nov. 2007, déc. n° 21861/03, Hamer c/ Belgique, § 79.
[28] Ibidem.
[29] Fao, Fao Forets, La législation forestière dans quelques pays africains, op. cit.
[30] Voir Supra I.B.
[31] Robert Barbault, « Biodiversité, écologie et sociétés », Ecologie & politique, 2005, p. 27.
[32] Voir l’exemple de la sylvothérapie, Guillaume Decocq, Bernard Kalaora, Chloé Vlassopoulos, La forêt salvatrice. Reboisement, société et catastrophe au prisme de l’histoire, Champ Vallon, 2016.
[33] Dir. n° 2004/35/CE, art. 2, point 13.
[34] Gretchen Daily, Nature’s services. Societal dependence on natural ecosystems, Island Press, Washington, 1997.
[35] Jacques Pellecuer, « Arbres et médicaments », Aménagement et nature, 2004, p. 18.
[36] PE et Cons. UE, dir. 2004/24/CE, 31 mars 2004, art. 1er.
[37] Arnaud Lami, Antoine Leca, Droit Pharmaceutique, Leh, 2017.
[38] Antoine Leca (Dir.), Droit tradimédical, Leh, 2014.
[39] Antoine Leca, « Quel statut pour la médecine traditionnelle chinoise en droit français » in Antoine Leca, Droit tradimédical, op.cit., p. 65.
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